samedi 14 mars 2009

La collectionneuse



1967

Cinéaste : Eric Rohmer
Comédiens :Patrick Bauchau - Haydée Politoff - Daniel Pommereulle - Alain Jouffroy
Vu en dvd

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Il y a quelque fois dans la vie des rencontres cinématographiques qui vous procurent un immense plaisir. Ces moments sont si rares qu'ils surprennent par leur intensité. C'est une découverte renouvelée.
Comme j'étais loin de voir venir un tel moment chez ce Rohmer! Surpris, je me suis pris à rire une fois ou deux, ivre de plaisir, ahuri que ce soit Rohmer qui en soit l'instigateur. J'appréciais déjà le travail du cinéaste, son alliance si naturelle de la réflexion et de l'écrit. Et plus encore, sa puissance d'évocation de l'indescriptible. Un porteur de voyage en quelque sorte. Quelque chose qui me dépasse. Ces fameux nains sur les épaules de géants.
Ma nuit chez Maud m'avait laissé une grosse impression, de celles qui flattent l'intellect surtout et peut-être un peu le petit bout de la libido (la Fabian) et par le trouble romantique qui suit derrière sagement.

Avec la collectionneuse, Rohmer ajoute à sa panoplie d'intellectuel/philosophe/moraliste celle de peintre-sculpteur.

Le criterion rend hommage au magnifique travail de Nestor Almendros sur une photographie à tomber par-terre. Si je m'attendais!

Travail sur le cadre, les couleurs, contemplatif, rêveur, rousseauiste, la picturalité des images associée aux éléments naturels embrassés assure au film une dimension physique, charnelle qu'il n'y avait que dans une moindre mesure dans les précédents Rohmer que j'avais vus (la boulangère, Suzanne et Maud). Ce film-là devient un objet, un corps qui se palpe, se caresse; il devient une expérience sensuelle.
Et ce, dès le prologue. Tout de suite le désir s'installe et vient gouverner plus ou moins secrètement les discours et les actes des protagonistes.


La présentation de Haydée, comme les séquences de bord de mer (notamment ces magnifiques plans de fonds marins, entre coraux, reflets et vaguelettes)

placent d'entrée le spectateur sur le fauteuil de l'invitation. Invité à partager l'expérience physique des personnages. Plus encore qu'en témoin du spectacle, j'ai le sentiment que la mise en scène incite le spectateur à entreprendre le film, à l'investir, à s'immiscer (la vache! y a vraiment quelque chose d'érotique qui m'a chatouillé!)
A la fin du film, j'en suis sorti heureux, mais insatiable j'avais envie de le revoir. Ce qui ne m'a pas été possible. C'est un Rohmer que je vais voir et revoir. Un film caresse ne se refuse pas.


La caractéristique physique du film aiguille le regard du spectateur, le place d'emblée par la sensation vers des réflexions morales habituelles chez ce cinéaste du discours et de la pensée. Encore une fois il explore l'indicible, le met à nu, inspecte ses recoins en faisant s'affronter un trio de personnages complexes mais néanmoins caractéristiques. On retrouve d'ailleurs à peu près le même trio romantique que celui de La carrière de Suzanne, avec pratiquement les mêmes enjeux, le même jeu pervers du chat et la souris. Sauf qu'ici, les deux hommes sont chats et qu'une certaine connivence s'acharne par délectation sur une souris pas si innocente que ça (cela mériterait d'ailleurs de se pencher sur l'innocence de Suzanne, hum).


Un autre aspect du film ressemble décidément à son auteur, c'est l'usage de la voix-off. Plus encore qu'au noir auquel il semble s'identifier par moments (j'y ai songé un peu au début, le récit se présentant comme un souvenir du narrateur), le procédé est bien davantage le medium habile entre cinéma et littérature. On peut sans se tromper supposer (décréter même, allons-y) que Rohmer crée là un film-livre.

Bien souvent la présence continue d'une voix-off a de quoi irriter le spectateur, se contentant de raconter ce que l'on voit déjà à l'écran. Ici, c'est l'exact opposé : elle nous autorise à pénétrer les pensées enfouies du personnage principal et narrateur. Loin d'être envahissante, elle accompagne avec grâce le spectateur dans sa rêverie. Les mots dansent. Pourtant ils sont d'aspect rude, froid. Comme les personnages masculins, presque détachés, un brin cyniques. Faussement. C'est toute l'histoire du film, le jeu des sentiments, les postures romantiques, le désir, les cruels mensonges de la séduction et l'illusoire possession de l'autre, l'idéal attachement amoureux, la fragile connaissance de l'autre et de soi même alliée aux failles de la volonté et de la lacheté, bref, les mensonges de la vie que l'égo nous met dans les pieds. On pourrait pointer d'autres forces et faiblesses chez les personnages de Rohmer tant l'observation est fouillée, tant les portraits sont d'une densité magnifique, d'une profonde humanité en somme. Pourtant on est bien dans un conte moral, avec ses accents, ses sommets, ses angles bien saillants qui servent au fond à construire une histoire peut-être édifiante, tout au moins invitant à la réflexion, ou mieux à l'introspection.


Le jeu des comédiens, d'un abord aussi rude et littéraire que la voix-off, se marie parfaitement à cette éloquence si particulière aux films de Rohmer, cette diction qui rappelle les récitations laborieuses de nos camarades d'école, vous savez... jadis.

Là encore, magie de monsieur Rohmer, il parvient à créer une atmosphère qui lui est propre et qui rend tout cela cohérent, acceptable, même agréable. Les dialogues très littéraires (inventés en collaboration avec les comédiens) ne seraient que trop déplacés dans la bouche de personnages interprêtés de manière ultra-réaliste. Ici, cela coule de source. Je conçois cependant que d'autres soient rétifs à ce parti-pris, cette manière si peu commune d'associer l'image et le dire. Ce cinéma est tellement original que son accès me parait forcément limité par cette barrière. Mais encore une fois, il m'apparait impossible de faire autrement tant le résultat sonne à l'oreille si naturel, fluide, logique même, tout à la fois. Magique. C'est comme avec Mocky (dans des tonalités évidemment diamétralement éloignées), le style a priori rebutant à la longue devient ébouriffant de charmes et de saveurs particulières, une personnalité à nulle autre pareille, à la morale et l'affectivité enivrante même. Je veux dire par ce charabia que de l'anguleux ou du difforme peut naître une attirance et une beauté qui confinent ensuite à quelque chose qui ressemble à de l'amour. Oui, entre ici Eric Rohmer...

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