dimanche 8 mars 2015

Bacchanale des serres d'Auteuil



1895-1898

Bacchanale de la fontaine du jardin des serres d'Auteuil

Sculpteur: Aimé-Jules Dalou

Notice sur les Serres d'Auteuil
Notice sur Aimé-Jules Dalou



À Paris, il existe un lieu qui peut, pour qui le voudra et si le temps le permet, atteindre au merveilleux. Un endroit paisible, pratiquement désert, en tout cas jamais envahi par la foule, d'accès facile et gratuit et surtout qui recèle de magnifiques trésors de beauté artistique ou naturelle. Les serres d'Auteuil sous un ciel bleu est une découverte enchanteresse que je dois à une ex-copine et que je salue aujourd'hui avec chaleur et reconnaissance. J'y suis retourné il y a deux ou trois ans avec ma femme et mon beau-fils, nous y avons passé un après-midi à fureter dans le parc et à arpenter les petites allées dans les serres entre cactées arides ou jungles humides. Mais outre les grandes serres bleues, ouvertes et transparentes, grands squelettes de métal comme sut si bien les inventer le XIXe finissant, c'est le parc d'agrément en son cœur qui m'a beaucoup plu.

Et puis, j'ai été particulièrement interpellé par une fontaine et son haut-relief. Son sujet est pour le moins étonnant : une scène bachique, très sensuelle, pour ne pas dire érotique. En tout cas hédoniste. Les personnages sont emplis de joie. Le vin n'y est certainement pas pour rien dans ces rires qui éclatent. La grappe de raisin  et le verre nous invitent à y songer fortement.

Ce qui me plait dans cette sculpture, c'est le mouvement ! Les quatre personnages forment une ronde de plaisir. Plus que de religion païenne ou de mythologie, je pense à Guy de Maupassant, et de là, en bon cinéphile, je dérive vers des images de Renoir et d'Ophuls. Des images de joies, celles du dimanche, paysannes ou de bourgeois qui s'encanaillent autour de Paris.

On est à Auteuil. Je revois le vieux Paris du XIXe, celui qui commence à peine à s'ouvrir extra-muros. Et j'imagine bien que les créateurs de ce lieu, Aimé-Jules Dalou en particulier, vivent encore un imaginaire champêtre des alentours de la capitale en cette fin de XIXe. Tout cela donne un goût d'achèvement, de perte aussi. Comme un paradis perdu ou qui se meurt tout doucement. Il y a de la nostalgie aujourd'hui à voir cette ode lointaine surgie d'un passé révolu. Ici dans la pierre la joie demeure. Mon sentiment est plus dans l'émotion finalement. La surprise vient de là, de cet inattendu spectaculaire.



En regardant ce petit groupe qui boustifaille et baisouille au dessus de cette fontaine, je ne peux m'empêcher de les envier, de vouloir entrer dans leur danse païenne. La fille en bas a une poitrine tellement attirante, sa position fait sourire ses seins! Tous les personnages sourient ou rient carrément aux éclats. C'est très fort, orgiaque, festif. Du sexe joyeux. Si loin de la saleté que les religions posent sur le corps! Fi des peurs, fi des jugements sans appel, sans autre objet qu'exercer du pouvoir sur les corps et les âmes! Ce haut-relief exprime la liberté, l'exubérance de l'élan vital. Le pied gauche de la jeune femme semble incarner le bonheur, il s'ouvre, s'épanouit. Oui, bien sûr, c'est le panard!

Au-delà du propos, je le répète : Aimé-Jules Dalou maîtrise son art, si bien qu'il donne vie et mouvements à la pierre. Gracieux. Fluide. Ça tourne, on entend les rires, on sent le parfum et chaleur du vin, le sucré des grains de raisin. C'est un spectacle généreux de vitalité.

Depuis, je suis allé voir un peu à qui je devais ce plaisir. Découvert par Carpeaux, pote de Rodin, Aimé-Jules Dalou est un personnage éminemment sympathique, un vrai républicain, pur et dur, un communard également qui paya cher son engagement militant par un exil à Londres (où il exerça une influence majeure sur la New Sculpture britannique), qui a souffert mais a fini par devenir un de ces hérauts de la République laïque et triomphante. L'effronterie de cette sculpture est évidemment encore plus parlante quand on connaît donc cette biographie.

Ces bacchanales ne sont sans doute pas son œuvre majeure, mais c'est ma porte d'entrée vers le bonhomme. Et j'aime décidément trop ce mouvement, ces seins, ces rires, ces raisins! Il y a des choses qui ne s'expliquent pas et s'imposent à vous. Et vous n'avez aucune raison de les renier.

J'espère qu'un jour on pensera à nettoyer un peu ce haut relief.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire