dimanche 29 mars 2015

Ariane abandonnée


1796

Ariane abandonnée

Sculpteur: Jacques-Augustin Pajou

Notice Louvre
Notice Augustin Pajou



J'ai dit combien j'aimais Houdon. Chez les sculpteurs français du XVIIIe siècle je suis moins impressionné par Augustin Pajou, même si de nombreuses de ses pièces me plaisent assez. Notamment sa "Psyché abandonnée" qu'on peut voir également au Louvre, très bien exécutée, mais qui ne me bouleverse pas outre mesure.

Au contraire, j'ai beaucoup aimé sa petite "Ariane abandonnée" qui reprend la pose de sa Psyché. Je ne sais pas si c'est la taille qui compte ici ou bien si c'est la matière, mais cette petite terre cuite offre bien plus d'aspérités, d'émotions. J'aime particulièrement la texture de la matière. Elle me rappelle l'attirance que j'ai pour le grain de certaines photographies de cinéma. Il y a là quelque chose de fascinant, qui n'a peu à voir avec la sensualité du marbre, l'envie de caresser, non, c'est plutôt de l'ordre de la curiosité que suscite ces petits points, ce relief qui paraît pigmenter la surface.

Mais ce qui me plait certainement le plus reste cette chevelure bouclée. Ariane "καλλιπλόκαμος", "aux belles boucles". Cette coiffure me ravit. L'objet est petit : on imagine le soin tendre qu'il a fallu, la maîtrise qu'il a exigée. Admirable travail qui met en valeur l'expression du grand désarroi qui envahit tout le visage d'Ariane.

On peut alors tout imaginer : le départ de Thésée, le sentiment de trahison, l'incompréhension ou bien la nouvelle qu'elle est promise à Dionysos? Abandonnée de Thésée, Ariane est l'incarnation du chagrin d'amour le plus cruel, le plus douloureux.

Et sa représentation ici, assise, prête de chanceler sur le coup de l'émotion. J'ai mal pour elle. Elle est plus que touchante, elle est si bien sculptée qu'elle me bouleverse littéralement. J'aime jusqu'à la flexion que fait son poignet droit, un peu bizarre. Que fait cette main? Retient-elle le pagne qui risque de tomber ? Le coup de massue qu'elle vient de recevoir en découvrant les voiles du bateau de Thésée s'éloignant à l'horizon la met à nue. Son pagne comme le monde entier s'écroulent. Elle retient son étoffe machinalement, réflexe de survie.

Ce qui me frappe enfin, c'est sa nudité plus attendrissante que sensuelle. Il s'agit d'une nudité qui n'a pas grand chose d'érotique. D'abord son corps est trop juvénile pour cela. Ses hanches ne sont pas très amples ni féminines (à l'inverse de la Psyché évidemment plus érotique du coup) ; sa poitrine est menue ; son visage est encore un peu enfantin. Sa douloureuse surprise est celle d'une gamine qui découvre les affres de l'amour contrarié. Son corps, comme son regard expriment le désarroi de l'inexpérience et c'est ce qui la rend très émouvante.

La question que je me pose parce que je connais mal la légende : a-t-elle réussi à oublier Thésée dans les bras de Dionysos?

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