Quand le reptile se fait des pellicules, des toiles, des pages et des dessins... Blog sur l'image et la représentation en général. (cliquez sur les captures pour obtenir leur taille originale)
vendredi 14 mars 2014
The lunchbox
2013
Alias: Dabba
Alias: The lunchbox
Cinéaste: Ritesh Batra
Comédiens: Irrfan Khan- Nimrat Kaur - Nawazuddin Siddiqui
Notice SC
Notice Imdb
Très très belle découverte pour ma part. J'y suis allé au pif. J'avais le choix entre ce film indien et le dernier Frears à la séance de midi de l'Utopia montpellierain. Me suis dit que j'aurais plus de chance de voir le Frears ailleurs. Et puis je connais si mal le cinéma indien, pour ne pas dire pas du tout. J'étais donc curieux.
Lors du générique où l'on voit le trajet quotidien de cette fameuse lunchbox (une tour de gamelles en inox dans lesquelles plusieurs mets sont entassés) entre la cuisinière et le destinataire, de prime abord je suis un peu inquiet. La caméra tremblote. Cahots logiques : on est censé se retrouver au beau milieu de l'effervescence d'une Mumbay laborieuse, entre tramways, scooters, vélos, tuk-tuks et autres véhicules affairés, bref l'agitation industrieuse d'une ville gigantesque sur le point de prendre le temps de casser la croûte avant de repartir bosser. Je crains que la réalisation de Ritesh Batra s'en tienne là. D'abord le procédé est légitime.
Mais ensuite, il propose bien davantage à mon grand soulagement. Il élabore une mise en scène très bien ficelée. Aux yeux des plus Fast&Furious cinéphiles, évidemment, il pourrait même passer un emmerdant. Quelques scènes sont peut-être un chouïa trop longues. En fin de parcours on est sans doute tiraillé par cette hâte de savoir comment les protagonistes vont résoudre leur histoire. Alors oui, on aimerait une narration un peu plus véloce sur la fin.
Mais pour la majeure partie du film, le temps que prend la caméra pour nous raconter les émotions des personnages est nécessaire, bien plus... très agréable. Ritesh Batra présente un film totalement contemplatif. Très patient, très attentif aux moindres gestes, à la fuite d'un regard, à un pincement de lèvre, à un sourire qui s'éteint, un froncement de sourcil. Et nous, spectateurs, nous scrutons ces instants. Nous voulons savoir, nous voulons ressentir. Suspense du sentiment, du changement, du choix. On ne s'ennuie pas ; sauf pour ceux qui ne vivent que sur PS3, qui s'ouvrent les veines dès que le temps passe sereinement, mais je doute qu'ils aient l'occasion de tomber sur ce film.
On ne peut pas s'ennuyer parce que le scénario est d'une redoutable intelligence. Certes,Batra (derrière la caméra et le script) utilise avec appétit essentiellement les plans fixes. Toutefois, l'histoire est prenante, intrigante.
Une femme cuisine chaque matin un repas pour son mari qui bosse à l'autre bout de la ville. Elle expédie sa lunchbox au bureau de son époux via un système de coursiers, système à la fois simple et complexe, si célèbre que des universitaires essaient d'en comprendre la mécanique fascinante et impeccablement efficace, parait-il, mais on va laisser cet aspect-là, il n'est pour nous que prétexte à une mécanique bien plus passionnante, celle qui touche aux sentiments humains.
Ce système infaillible... faillit. Conséquences? C'est ce qui nous intéresse. Nous ne sommes pas devant un documentaires sur la lunchbox, mais bel et bien devant un film qui va interroger l'âme. Parce que la lunchbox de madame n'atterrit pas sur la table de monsieur, mais sur celle d'un autre type, un comptable sur le point de partir à la retraire.
Le type est un foutu vieux misanthrope, du genre qui ne répond même pas aux gamins du quartier qui lui demandent de leur rendre la balle de criquet tombée dans son jardin. La cuisinière, elle, est une femme délaissée. Son mari ne la regarde plus. Les petits plats qu'elle mitonne avec amour ne lui font ni chaud ni froid. Les deux êtres que tout sépare vont entamer une relation épistolaire qui débouche sur des questionnements bouleversants.
Ces émotions n'apparaissent pas en un éclair. Et cette lenteur, toute naturelle, toute réelle, elle n'est pas développée, rendue lisible à l'écran par magie, mais grâce à cette attention portée sur les visages. La caméra est souvent toute proche, mais pas toujours. Les deux héros se répondent. Les deux visages. On prend le temps de lire ces visages, ces voix qui lisent les petits mots laissés dans les gamelles. Le temps qu'il faut.
Un troisième personnage ne tarde pas à s'immiscer dans le récit, en parallèle : le stagiaire du comptable, censé prendre la relève du futur retraité et qui doit être formé par le vieil homme. A priori, on pourrait penser qu'il est de trop, mais en fait, peu à peu, sa présence d'abord un peu parasite allège la rectitude, la linéarité du récit principal. Ensuite, il apparaît même comme une sorte de témoin des changements de comportements chez le vieux comptable. Il apporte beaucoup d'équilibre à l'ensemble et permet d'accentuer le suspense romantique de l'intrigue.
Pour que ce trio de caractères (je pèse le mot, il s'agit bien d'une étude de caractères) soit plaisant à découvrir, il fallait donc une réalisation à la fois soignée et très sobre. Ces plans fixes, ces rares travellings, cette caméra souvent proche des visages filment avec calme et une forme de résolution, vers un terme pourtant incertain, paradoxe pas évident à maîtriser sur le papier. Néanmoins, Batra y parvient avec une réjouissante facilité. Il bénéficie aussi du soutien massif de trois comédiens assez épatants.
Nimrat Kaur offre un personnage solide. Très belle, généreuse, elle affiche également un courage et une modernité qu'on imagine les fruits de sa jeunesse et de ses espoirs. Un rôle plutôt compliqué qu'elle maintient toujours entre deux lignes, au bord de la résignation en même temps que prête à tout donner pour aller de l'avant.
A l'autre bout de la lunchbox, Irrfan Khan est longtemps une huître. Il la fait bien. Mais c'est surtout quand sa "vieillesse" commence à la rattraper que le comédien fascine par sa capacité à incarner tout le désarroi du vieil homme râpé face à la belle jeune femme, terrible peine dans laquelle il se noie.
Nawazuddin Siddiqui, le jeune comptable, arrive avec finalement très peu d'effets, à jouer quelques scènes très belles, très émouvantes. Son rôle est un peu un miroir pour le vieil homme. Ce scénario est vraiment bien foutu.
Je ne sais pas à quel point l'agréable sensation d'être en Inde, de sentir ces plats appétissants, doit à l'exotisme du cadre, ou bien à la qualité intrinsèque de la réalisation, du scénario ou des acteurs. Oui, j'ai eu beaucoup de plaisir à voir un film indien, à être plongé dans la Mumbay actuelle, mais je sais bien que le plaisir vient avant tout du très gros travail et du talent de tous ces gens. A la fin du film, j'étais très ému par cette histoire et conquis par la façon dont j'ai été embarqué d'un bout à l'autre. C'est de la belle ouvrage que je reverrai avec bonheur.
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