vendredi 12 septembre 2014

La sieste



déc. 1889 - janv. 1890

Titre: La sieste
Titre: La méridienne

Peintre: Vincent Van Gogh

Notice Orsay



Quitte à parler en inculte, juste en mateur amateur du dimanche, mieux vaudrait traiter d’œuvres peu ou pas connues, vous me direz. M'enfin, comme l'alligatographe se veut un blog qui interroge le ressenti personnel et ne veut pas établir un quelconque dogme, ni une référence sur le plan du goût, comme il s'agit en quelque sorte d'un journal de bord qui peut servir de boite à idées pour ses lecteurs, autant ne pas s'arrêter devant les œuvres des grandes artistes sous prétexte qu'ils sont trop connus, trop étudiés par ailleurs.

Le fait est là qui s'impose à moi : je suis entré dans cette salle du musée d'Orsay, une foule s'amassait presque devant chaque toile de Vincent Van Gogh et celle-ci irradiait. Littéralement, elle illuminait la salle. C'est un fait indéniable qui me parait inévitable et qu'il me faut souligner d'entrée. D'autant plus que je ne suis pas un fanatique de Van Gogh, mais cette toile m'a mis une claque.

C'est comme si les gens autour n'existaient plus. Comme si la lumière, la scénographie, je ne sais pas comment l'appeler, comme si tout le lieu, tout avait été construit pour mettre en valeur cette toile plus que les autres. Comme si on avait mis une grosse lampe derrière le cadre. La lumière naît du tableau. J'étais ahuri par ce phénomène bizarre et finalement très enveloppant, caressant, enivrant presque.

Les jaunes explosent et sortent de la toile. Les traits noirs qui dessinent les contours sont marqués, très nets, en contraste avec l'atmosphère de chaleur estivale, ensoleillée. On le voit particulièrement bien avec les lignes qui forment les silhouettes et les contours des vêtements, mais surtout les pieds nus du personnage masculin, et peut-être encore mieux le pied gauche spécifiquement. J'adore ce pied. Et croyez-le ou non, je ne suis pas fétichiste, mais alors pas du tout!

Ce que j'aime, c'est véritablement le contraste entre la lumière, l'éclat des jaunes, des bleus clairs et la précision du trait, comment le tracé se détache. Cela m'évoque je ne sais pourquoi les pieds des jeunes femmes de Botticelli, peintes sur fresque que j'ai vues il y a deux ans au Louvre. Merde, ça me fait penser que j'ai oublié d'aller les revoir lors de mon dernier passage au musée cet été! Quel con! Bon... revenons à cette toile dont le trait fait songer aussi à de la bédé, je pense au dessin de Bourgeon tout particulièrement, Bourgeon dont les femmes blondes sont botticelliennes en diable! On y revient donc. Voilà donc un enchaînement d'idées grossier, m'enfin, il est là, je vais pas vous mentir. Alors qu'est-ce qui fait lien dans tout ce foutoir? Les pieds du dormeur de Van Gogh ne sont pas ceux des belles donzelles de Botticelli ni de Bourgeon tout de même! Alors j'insiste sur ce trait, sur le fait qu'il est très net. On a l'impression qu'il a été posé sur la toile après le coloris, par dessus. Ce doit être tout connement une affaire de technique picturale qui échappe à ma connaissance et donc à mon entendement, mais toujours est-il que cela me plait énormément, que ça me touche, je reste scotché, fasciné par ce simple détail.

Cette histoire illustre également à merveille la nécessité absolue pour apprécier une oeuvre de la voir en vrai, "en toile et en pâte". Quelque soit le talent du photographe ou du réalisateur de films, il ne peut retranscrire parfaitement ce lien indéfectible qui se noue entre une oeuvre et son admirateur. Certaines créations semblent le faire sentir avec bien plus de force parfois. Cette sieste est prodigieusement explicite sur ce point, cruelle même. Je reste baba dans cette salle d'Orsay par cette lumière véritable, par la taille du cadre, par l'objet et sa façon matérielle d'être, de s'imposer dans la salle alors que je l'ai vu tant de fois sur papier sans qu'il m'interpelle particulièrement. Il a fallu que je sois physiquement devant pour ressentir sa chaleur.

Il y a quelques jours, dans un article sur un bijou-épingle de René Lalique exposé également à Orsay, j'ai fustigé l'obstruction du musée faite au public de capturer l'oeuvre en la photographiant, de se l'approprier. Je vais essayer de préciser ma pensée par rapport à cette nécessité de vivre l'oeuvre réelle. Voir l'oeuvre en vrai et la photographier pour garder un souvenir personnel ne sont pas incompatibles et je dirais même qu'ils peuvent se révéler indissociables. Certes, dans le cas de cette sieste de Van Gogh, je pense qu'il est sûrement difficile, voire impossible de photographier, de graver le ressenti. Mais de fait, il n'est jamais question de cela! Jamais je n'ai vraiment cru que la photographie pouvait sauvegarder de manière artificielle des sensations physiques éprouvées devant une oeuvre réelle. Je crois que c'est une illusion, très tentante il est vrai, de croire qu'on peut le faire. Aguichante illusion car l'espoir de capturer un détail, ou même l'ensemble de l'oeuvre, même s'il ne dure qu'un temps, participe de l'appropriation par le spectateur. Il participe aussi de la mémorisation de l'instant, de l'oeuvre elle même, de ce qu'elle produit comme émotion ou réflexion, de ce en quoi elle touche, interroge ou perturbe. Que l'on ait un crayon et un cahier ou bien un appareil photo, peu importe, si ce n'est la tentative d'inscrire tous ses ressentis quelque part pour qu'on puisse un peu plus tard en étudier les traces plus facilement à tête reposée, avec une attention soutenue vers l'objectif précis de la jouissance renouvelée. Forcément ce but n'est pas tout à fait atteint, mais l'élan vers cet objectif suffit déjà amplement à marquer un mouvement vers l'oeuvre. C'est ce qui compte, le trajet personnel. Et le fait est que le public n'oublie jamais dans ce processus qu'en photographiant l'oeuvre, il ne la reproduit pas réellement, mais reproduit une image imparfaite, incomplète d'une réalité qui reste à la fois au musée et mais même dans l'instant vécu, dans les secondes ou les minutes de contemplation. Il y a toujours le risque lors d'une nouvelle visite que ce que le spectateur avait vécu une première fois ne se réédite pas, que se soient évaporés ses précédents ressentis. Ce peut être le cas pour une toile ou une sculpture dans un musée comme pour un film au ciné. S'il vous plait, est-il possible de ne pas perdre de vue que le public amateur n'est pas a priori crétin? Ceux qui décident des politiques vis à vis du public dans les musées pourraient-ils également vivre avec leur temps en pensant dans son intégralité la relation qui se crée entre l'oeuvre d'art et le public, une relation d'amour, un rapport sensuel et affectif dans lequel la photo peut se révéler un moyen parmi d'autres de rendre cet amour plus tangible, surtout plus durable en construisant quelque chose d'intime qu'un tiers ne peut entendre?

Dans le cas de cette sieste, le tableau étant si célèbre, une recherche internet est plutôt facile pour dénicher des représentations bien précises. Mais pour le bijou de Lalique c'est une autre affaire et la plupart des œuvres du musée d'Orsay, c'est trop compliqué. Dans ces cas-là, l'appareil photo est d'un secours inestimable.

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