lundi 14 juin 2010

M le maudit



alias : The murderers are among us
alias : M le maudit
1931

Cinéaste: Fritz Lang
Comédiens: Otto Wernicke - Inge Landgut - Ellen Widmann - Peter Lorre

Notice Imdb

Vu en dvd



La première fois que je l'ai vu, c'était au Jean Vigo, à Bordeaux, un petit ciné comme on n'en fait plus, une salle unique, d'aspect théâtral, avec des fauteuils qui couinent, pas très confortables, mais avec ce charme fou de velours, des petites loupiotes en patère sur les parois sombres, un air de "temps jadis" que les mégacinés actuels ont popcornisé. Des mondes différents, ce n'est pas plus mal, c'est la vie et le temps qui passent. Rien de sale. Mais je suis obligé de placer cette chronique sous les bons auspices de Madame Nostalgie parce que "M le maudit" a été à ce moment là un coup de massue terrible, de ceux qui vous marquent une vie de cinéphile, qui placent la salle de cinéma au dessus de tous les autres écrans.

De par sa maîtrise du temps, du cadre et de l'acteur,

ce film de Fritz Lang, peut-être parfait, m'a plongé dans le Berlin des années 30 au cœur des basses fosses urbaines, du mal-être et de l'hypocrisie des masses, celles-là même qui se sont mises à applaudir devant les vitupérations malades du moustachu autrichien. Pas étonnant que ce film humaniste fut interdit par les nazis.

Pourtant, il montre avec netteté la duperie des conventions sociales qui nous présente la pègre comme l'opposé de la bourgeoisie. Par ses méfaits, le malade assassin attise le zèle policier. Les forces de l'ordre se mettent en chasse du monstre mais par voie de conséquence altèrent la bonne marche des trafics interlopes, dérangent les malfrats qui, comme les bons bourgeois, aspirent à l'ordre, non moral, mais bien pécuniaire. Avec le tueur en série en activité, les affaires louches perdent de leur souffle. Police et criminels, même combat, s’attellent à retrouver le meurtrier. Le monde du crime établit son propre tribunal, juge l'assassin et le condamne en dépit de la plaidoirie de son avocat, frappée au coin du sens humaniste et pas suffisamment à celle du bon sens populaire qui demande le lynchage. Cette parabole est extrêmement puissante. Le parallèle avec notre époque est criant. Les années de crise précipitent la raison dans les cachots de l'oubli : l'émotion gouverne, les instincts resurgissent. C'est le temps de l'action, de l'extrême, du couperet. La justice invoque des lois simplistes, celle du Talion en tête.

Quand le film dénonce l'auto-défense, les tribunaux d'exception, la violence répressive aveuglée par l'émoi collectif, les nazis en prennent forcément ombrage. De là à voir dans l'accoutrement cuir noir de Gustaf Gründgens, l'uniforme militaire du prototype nazillon il n'y a qu'un pas que je fais sans l'ombre d'un doute.

Ce qui permet au film d'être un très grand film c'est la performance gigantesque de Peter Lorre. Aidé de son physique de crapaud avec sa bouille ronde, ses yeux globuleux prêts à sortir de leurs orbites à la moindre crise d'angoisse

et ses paluches énormes de boucher, telles des battoirs trop immenses, trop lourds, encombrants, des boulets de prisonnier,

le comédien transcende son personnage, dépasse les clichés de l'assassin d'enfant. Non content d'incarner avec tant de puissance physique ce personnage monstrueux, le comédien dessine une profondeur, une douleur à son personnage, une souffrance d'une incroyable humanité : le tueur en série responsable des crimes les plus effroyables est malgré tout un être humain, emprisonné dans ce corps massif et assujetti à la torture de son esprit.

Et Lang de parvenir à rendre sinon sympathique du moins pitoyable cet immonde créature, sans faire appel au discours béni-oui-oui, ni à une quelconque volonté supra-naturelle mais bien par l'expression de la raison ainsi que par la main tendue, compassionnelle qui fait appel à la compréhension dans le sens le plus large afin de dépasser les élans irrationnels et la brutalité de l'émotionnel.

Un film gigantesque d'une incroyable et pathétique actualité. Universel coup de latte dans l'estomac (pour rester poli). Obligatoire.

Trombi:
Ellen Widmann:

Otto Wernicke:

Friedrich Gnaß:

Rudolf Blümner:

Georg John:

Franz Stein:

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire