samedi 30 août 2014

Christ en crucifixion Notre-Dame d'Herment


1200

Christ en crucifixion, Notre-Dame d'Herment

Artiste: Anonyme

Ancienne collégiale Notre-Dame d'Herment, Puy-de-Dôme
Bois fruitier (noyer ou poirier)

Musée de Cluny, Paris
Collégiale Notre-Dame d'Herment, Puy-de-Dôme



J'ai rencontré Jean Rochefort au Musée de Cluny, musée national du Moyen-Age à Paris! Ça s’apparenterait pas à de la paréidolie, ça? La ressemblance entre l'un des mes acteurs fétiches et ce christ crucifié m'est apparue tardivement, bien après la visite du musée, en traitant les photos pour tout dire. Ce  n'est donc pas pour cette illusion (aussi optique que puérile, j'en conviens, on ne se refait pas) que j'ai voulu garder un souvenir précis de ce christ.

D'abord, cette sculpture est très bien mise en valeur. Dans une grande salle pleine de lumière, les hauts murs permettent d'accueillir de grandes et imposantes œuvres. Celle-ci bénéficie par conséquent d'un bel emplacement, avec beaucoup d'espace d'exposition. Cette sculpture attire l’œil : difficile d'échapper à sa présence.

Mais il faut compter également sur sa majesté, sa grâce. Quand on s'approche et qu'on prend le temps de le regarder, on est alors facilement fasciné par son expression. Son regard exprime une souffrance complexe. On la sent certes puissante, mais on ressent aussi comme une sorte de lassitude. Peut-être même que j'y vois une profonde tristesse, une peine immense, celle d'un homme seul, abandonné, déçu par la bêtise humaine, mais mon incroyance agnostique y est sans doute pour beaucoup dans cette "vision". Quoiqu'il en soit, j'ai de la peine pour lui. Je suppose que l'artiste a voulu susciter chez ceux qui le voient une certaine pitié, l'envie de l'apaiser, de lui venir en aide, de le consoler. Plus qu'une souffrance physique, c'est une douleur profonde qui semble épuiser les traits de son visage.

Joli travail d'humanisation qui nous vient d'une ancienne collégiale de Notre-Dame d'Herment dans le Puy-de-Dôme en Auvergne. Le christ a été façonné autour de l'an 1200 dans un bois d'arbre fruitier (du noyer ou du poirier). On voit très bien encore qu'il a été autrefois coloré. Des traces de pigments sont encore visibles, notamment très nettement sur le pagne du christ.

A ce propos, en sculpture, le travail sur le drapé des vêtements est un élément qui retient presque systématiquement mon attention. Et là, je trouve le jeu des plis du pagne très bien fichu. Je ne sais pas bien pourquoi, parce qu'on a vu des drapés bien plus prodigieux en sculpture. Est-ce la finesse du corps du christ qui se marie si bien avec la finesse des plis? Il se dégage quelque chose de délicat, difficile pour moi à exprimer tant je manque de vocabulaire. En néophyte, j'ai envie de parler de caresse.

J'aimerais aussi parler de ce bois. J'aime bien le bois pour les sculptures. Ici, on voit très bien que le temps a fait un sale ouvrage. Mais finalement, c'est toujours émouvant ce travail de sape que le temps peut infliger à l'objet. C'est le signe qu'il a voyagé, qu'il a vécu, qu'il a survécu... celui-là à plus de 800 ans, merde...

Je ne suis pas croyant, mais certaines représentations du christ me touchent. Assez souvent en fait. Ce christ particulièrement donc. Que cette histoire soit le fruit d'une réalité historique ou d'une mythologie n'enlève rien de sa capacité à émouvoir. C'est une très belle histoire. Et je suis encore sous le charme de ce christ auvergnat, devenu parisien.

D'ailleurs,  ce musée, en plein cœur de la capitale, est une heureuse surprise. En tout cas, pour ceux qui aiment l'époque médiévale ou pour ceux qui seraient curieux d'en mieux connaitre les identités artistiques, cet ensemble architectural recèle de bien beaux trésors. Le musée de Cluny offre un panorama très riche, qui en étonnera plus d'un. Il démonte ainsi l'image rétrograde, rude et primitive, voire obscurantiste du Moyen-Age. Quelques semaines après la mort du grand médiéviste Jacques Le Goff, il semble plus que justifié de rappeler que cette période a connu des artistes de génie, injustement méconnus. De nombreuses traces de ces grandes sensibilités subsistent et sont donc accessibles à qui voudra faire l'effort d'ouvrir les yeux. Ce christ en est un des innombrables exemples.

5 commentaires:

  1. votre article est magnifique et j'apprends avec plaisir que vous êtes "incroyant agnostique" : j'ai joué cartes sur table sans connaître les vôtres. C'est un risque que je prends toujours, après quoi on "coupe" définitivement ou on poursuit en confiance.

    J'ai honte, car je sors de chez moi pour fuir ce 7 ème "puant" — j'habite rue du Bac — (Italo Calvino dans "Monsieur Palomar" décrit la cathédrale qu'est la boutique du marchand de fromages de la rue de Grenelle ou toutes les grenouilles de bénitier se retrouvent, sans mot dire, lèvres pincées ; ceci vaut pour le cinéma La Pagode, où faire la queue est un supplice) On n'évite nulle part les opticiens les cuisines design, les godasses et les frusques, aussi je change de quartier pour aller boulevard St Michel où j'ai plusieurs points de chute sympa — dont Ciné Corner, Gibert, Monoprix, "trois fois rien" et la Sorbonne qui est un bon et mauvais souvenir à la fois. Bref, ce long préambule
    pour avouer avec le rouge de la honte de la honte au front que je ne suis jamais entrée au Musée Cluny : J'ai entendu l'éblouissant Le Goff que j'admire autant que Vernant et cet autre, spécialiste de la Méditerranée.
    Mais la chrétienté du Moyen-Age me fait peur : elle était militante.. Votre oecuménisme est rassurant et je me promets de mettre sans tarder mon allergie dans mon sac. Avec la chose écrite, je suis devenue tolérante par la force des choses, mais il n'empêche qu'Henry VIII et le schisme m'ont d'emblée enthousiasmée et sont, maintenant qu'on évoque le catholicisme, pour quelque chose à mon anglophylie.
    Malgré quoi j'ai lu avec tristesse la destruction de ces couvents et monastères irlandais qui furent très tôt des foyers de culture...

    PS L'Italie est le royaume de la marquetterie. Ce que vous dites de la nacre me donne à penser que vous avez un oeil de peintre. A bientôt sur vos pages …

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    1. Le musée Cluny est si riche, que j'ai l'impression d'être face à l'Anapurna à l'heure de songer à rédiger des petits articles sur chaque oeuvre qui m'a touché là-bas. Entre les ivoires, les sculptures, les vitraux, la variété et la profusion d'objets qui m'ont émerveillé, je ne sais si je réussirais jamais à en faire au moins une esquisse de contours avec des articles sur les oeuvres les plus "bousculantes".

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    2. Quant au militantisme religieux du Moyen-Age, je suis sûr que c'est une vue de l'esprit de croire qu'il n'existe que pour cette époque. Et surtout, qu'il soit capable de nous obstruer la vue aujourd'hui. A partir du moment où vous décidez d'être libre, de prendre le contrôle sur l'objet, de vous l'appropriez, de mettre de côté les intentions de l'auteur ou du commanditaire, du contexte de l'époque, vous pouvez être tout à fait capable d'apprécier à la valeur que vous estimez vôtre, indépendante, grâce à votre libre-arbitre.
      Pour ce christ, je sais bien quelles étaient les ambitions qui ont présidé à la création de cet objet : le prosélytisme, ou militantisme comme vous dites, puissant car antérieur à la venue de l'édition. Mais j'essaie de regarder l'objet pour ce qu'il est aujourd'hui, pour la personne que je suis, construite par mon époque, avec la distance que je désire mettre entre la réalité d'alors et celle d'aujourd'hui. C'est totalement subjectif. Ce n'est pas un regard d'historien, qui étudie l'objet dans sa réalité médiévale. Cela peut être intéressant aussi, je ne le nie pas, mais en l'occurrence, quand je vais dans ce musée, je sais qu'il y a la possibilité de voir coexsiter ces deux aspects de l'objet : sa nature propre à l'époque médiévale et le regard tout neuf et tout nu d'un néophyte de 2014. Je crois fondamentalement qu'on peut aimer un objet pour ce qu'il a été et ce qu'il est, pour toutes ces nuances, toutes ces acceptions finalement. Ce serait pas le sel de la vie qu'elle soit complexe et nuancée, changeante, multi lisible?

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  2. je vais me permettre d'être très personnelle : je n'ai pas écrit militantisme religieux, j'ai écrit militantisme catholique. Comment pouvez-vous imaginer une seconde que la réalité du monde aujourd'hui m'échappe ?
    Je ne suis pas férue en Histoire, pas plus qu'en politique aujourd'hui.Trop de choses m'ont toujours échappé et m'échappent encore dans ces domaines. Je n'ai aucune date précise en mémoire, mais "militantisme" catholique vaut pour les Croisades, Isabelle La Catholique, l'Inquisition, les pogromes de Russie au nom de la sainte église orthodoxe, Plus près de nous Luther et Calvin refuseront le dogme
    (si c'est un dogme) de "l'immaculée Conception" (moi, non plus je ne marche pas) et cela nous vaudra
    la Saint Barthélémy.

    Le Christ de Notre-Dame d'Herment jouit de l'immunité de toutes les oeuvres d'art, créations de
    l'homme, qui célèbrent tout simplement ce qu'il y a de meilleur en eux.
    France-Musique disait, il y a une semaine : "Dieu doit beaucoup à J.-S. Bach !". Joli, non ?
    Bien comprises, les religions devraient sauver le monde. Or Sunnites et Chiites s'entredéchirent. Hommes de bonne volonté, nous ne pouvons que croiser les bras.

    J'aimerais bien poursuivre, mais sur ce forum ouvert à tous et à toutes, je ne peux finalement pas être
    plus personnelle.



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    1. Je répondais exactement à votre phrase sur la "chrétienté militante du Moyen-Age". Je ne crois qu'il y ait une seule religion qui ne soit pas militante, d'hier comme d'aujourd'hui. Et mon propos restait attaché aux conséquences de tout ce substrat historique et religieux dans un sens très vaste (à la fois temporel et spirituel) sur le regard qu'on peut porter aujourd'hui sur un christ en bois, une vierge peinte, un Bouddha géant en pierre ou n'importe quel objet ayant partie lié à une foi ou à un dogme.

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