Quand le reptile se fait des pellicules, des toiles, des pages et des dessins... Blog sur l'image et la représentation en général. (cliquez sur les captures pour obtenir leur taille originale)
jeudi 6 décembre 2018
Le pigeon
1958
Titre original : I soliti ignoti
Titre francophone : Le pigeon
Titre anglophone : Big deal on Madonna Street
Cinéaste : Mario Monicelli
Comédiens : Vittorio Gassman - Toto - Renato Salvatori - Marcelo Mastroianni - Carla Gravina - Memmo Carotenuto
Notice SC
Notice Imdb
Vu en salle
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Le pigeon n’est pas mon Monicelli préféré, mais il est tout de même plutôt très bon. Ce que j’aime généralement dans la comédie italienne, c’est la limite très floue entre le rire et les larmes, et au contraire les ruptures parfois très brutales entre les deux émotions. Et bien souvent, cette dichotomie assumée, presque structurelle, s’appuie sur une réflexion politique. Le pigeon ne déroge pas à ces règles même si c’est moins évident.
Les personnages sont tous plus ou moins des éclopés, au moins des gens très pauvres qui vivent d’expédients, de petites combines ou de menus larcins. La plèbe romaine dans toute sa variété : la vieillesse, l’orphelinat, la prison, l’escroquerie sont des thèmes identitaires qui touchent les protagonistes.
Le scénario est écrit à tant de mains et par de telles intelligences (Agenore Incrocci, Furio Scarpelli, Suso Cecchi D'Amico et Mario Monicelli). Il met l’accent sur la force de vie qui anime ces laissés-pour-compte avec une belle humanité, un humour revigorant et avec une grande pudeur. On n’est pas encore dans la comédie italienne plus mordante, jouant sur un certain cynisme pour dépeindre une société qui laisse peu de place à l’espoir, comme dans Les Monstres par exemple. Ici l’image pittoresque d’une Rome joyeuse malgré la misère marque encore les esprits.
Pourtant, on est bel et bien aux antipodes du cinéma mussolinien qui a voulu créé un idéal totalement fantasmé de société parfaite, hautement morale et héroïque. Le pigeon se joue déjà de ces fantasmes du passé, tout en ne versant pas totalement dans le pathos et l’aspect sombre de la désillusion du néo-réalisme. Il se situe bien à l’orée de son époque. Les enfants de la guerre veulent exister dans le réel tout en mordant la vie à pleines dents. Quelle belle rencontre que ces auteurs, ces acteurs, cette génération avec une période bouleversante sur le plan social et politique!
Pas étonnant que ces comédies douces amères soient nées dans ce pays complexe à ce moment là. J’adore la comédie italienne car elle transcende son identité pour parler de la vie, de la réalité et fait la part belle à l’émotion, la réflexion, à l’humain dans toutes ses nuances, sa variété, aussi bien sa grande beauté d’âme que ses monstruosités les plus abjectes. Affreux, beaux mais méchants, les personnages sont nous tous. A l’instar de la Comedia dell’Arte, la comédie italienne dépeint la vrai dans l’exubérance et fait grandir les spectateurs. L’art dans sa plus grande majesté.
Elle est portée par de très grands comédiens, ici d’ores et déjà présents : Vittorio Gassman ou Marcelo Mastroianni d’abord.
Des deux, Vittorio Gassman a peut-être dans Le pigeon le rôle le plus flamboyant. Son bègue grande gueule, faux tombeur, faux dragueur est attachant. Il lui donne une belle épaisseur quand il s’amourache de la petite bonne. Il n’est pas juste une caricature de bellâtre à mauvaise foi, il lui donne un cœur.
Il ne faut pas oublier Renato Salvatori dans un rôle également émouvant d’orphelin “adopté” par trois “mères”. On n’est pas forcément habitué à le voir jouer dans une comédie. Il est bien plus marquant dans la tragédie. Son histoire personnelle en appuie le sentiment. Or, ici, bien qu’il parvienne à animer son personnage d’une flamme plus mélancolique que comique à dire vrai, il apporte aussi une note de fraîcheur, son personnage étant encore capable d’être animé par ses sentiments et non des contingences matérielles.
Un autre joyeux drille qu’il convient de mettre en avant : Toto! Il n’est pas de cette génération. Il a connu l’avant et la guerre. Il est le célèbre clown blanc, le Buster Keaton italien, et il marie parfaitement son style un poil grimacier parfois (moins ici) tout de même très distinctif et néanmoins marqué par les temps anciens, avec ce vent nouveau beaucoup plus subversif et politique. Peut-être même pourrait-on arguer qu’il avait déjà participé à une sorte de pré-comédie italienne avec Steno notamment ou bien même avec les premiers Monicelli? Son rôle d’expert de pacotille est croustillant : malhonnête et élégant à la fois, il incarne une sorte de noblesse de la voyoucratie, celle qui entend garder son panache en toutes circonstances, les pires comme les meilleures, et souvent plus les premières que les secondes.
Ce film rend donc hommage à la lie de la société grâce à cette bande de pieds-nickelés, de losers patentés qui se démènent comme ils peuvent pour éviter le pire : travailler. Voilà un trait qui paraît inconcevable de nos jours et donc d’un anticonformisme incroyable, sans doute incompréhensible même! Autres temps, autres moeurs, autres croissances, autres sociétés de consommation sans doute!
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