2011
Cinéaste:Nanni Moretti
Comédiens:Michel Piccoli -Nanni Moretti -Jerzy Stuhr -Renato Scarpa -Margherita Buy -Gianluca Gobbi
Notice Imdb
Article de ma mie, Jack Sullivan
Vu en salle
Joli film de Nanni Moretti. Excusez la redondance tant il est rare qu'un film de Moretti ne soit pas "joli".
Alors soyons précis et explicitons ce qualificatif. Il ne s'agit sans doute pas de "joliesse" formelle. Le film ne dégage pas une esthétique spécialement capable de susciter chez le commentateur lambda ce terme là. Disons que le style est comme toujours très simple, plutôt direct, totalement focalisé sur les acteurs, plus que sur les décors ou les effets de lumières. La caméra reste discrète, ne joue pas la comédie, ne se prend pas pour une virtuose du mouvement. Souvent fixe, elle scrute les visages, reste très près des comédiens, attentive aux ruptures de tons dans les expressions et qui produisent le rire.
Ce rire n'est jamais méchant, on le notera, ni agressif. Bien au contraire, grâce à la proximité de la caméra, le jeu très doux des acteurs, le débit calme des dialogues et la solennité du lieu comme du sujet, le film reste marqué par une sorte de délicatesse, pleine de tendresse pour les personnages, même si le propos est volontiers taquin à leur encontre.
Il ne s'agit pas ici de fustiger l'organe politique ou idéologique que représente l'État pontifical. Dès le départ, le gauchiste Moretti accompagne la grosse machine ecclésiastique, dans son cérémonial, dans son organisation, mais également dans son désarroi, avec beaucoup de bienveillance et de respect. Pas de jugement. Pas d'attaque grossière, frontale.
Bien entendu la critique existe, mais elle vient de façon beaucoup plus fine et intelligente. Par ailleurs, elle ne peut être taxée d'unilatéralisme. Le personnage du psy que joue Moretti est tout aussi paumé que les cardinaux, tout aussi imbu de sa personne, de sa fonction, de son savoir, tout aussi incapable de résoudre le problème du pape.
Tous unis dans la perplexité et la faiblesse humaine, tous sont troublés, apeurés, interrogatifs, tous sont des hommes, confrontés à la peur et l'incertitude, l'égocentrisme et l'hypocrisie, mais également l'espoir et l'amour, l'écoute et l'entraide. Vous ne déplorerez aucun casus belli à l'encontre de l'Église donc, mais un regard plutôt attendri du cinéaste à l'égard de ces cardinaux un peu puérils, qui se chamaillent comme des gosses. Mais le psy, la caution scientifique, n'est pas en reste. Son enthousiasme à organiser un tournoi de volley entre les cardinaux est aussi réjouissant que les vaines tentatives des cardinaux australiens de se barrer du conclave pour aller voir une exposition du Caravage avant de plier les gaules et retrouver leurs pénates. C'est toujours pareil avec Moretti : on rit de la mauvaise foi et des enfantillages des êtres humains tout en gardant un regard très affectueux sur eux. Savant et délicat dosage d'humour et de compréhension, un cinéma de l'empathie.
Mais il faut garder à l'esprit que tout ce que je viens d'évoquer n'est que l'enveloppe du fruit, la chair est d'autre nature. Là encore, sa consistance a déjà été explorée par Moretti. Il ne vous échappera pas en effet que le film parle de cette liberté qu'un individu s'octroie, celle de prendre le temps de la réflexion, de se comprendre.
Comme dans le très "joli" "Caos Calmo", un certain Melville (hommage à Jean-Pierre ou Herman?) joué par Michel Piccoli, qui vient d'être élu pape, s'échappe du Vatican, fuit l'évènement parce qu'il lui faut réfléchir. Seul personnage un tant soit peu mature, il se trouve de suite accablé par les responsabilités que les autres lui mettent sur le dos. Juste avant son élection il faut entendre les supplications intérieures et honteuses des cardinaux implorant : "pas moi, Seigneur, je t'en supplie, pas moi!" C'est donc à lui qu'on refile la patate chaude. C'est lui qui endosse le rôle du père, et il se demande à juste titre s'il s'en sent capable. La réponse négative a priori l'oblige à fuir.
Peser la question nécessite du temps, beaucoup plus que de maigres secondes. Comme le papa veuf de "Caos calmo", le temps se doit d'être suspendu. A durée indéterminée, et ce, pour des raisons inconnues. Que ce soit pour des "carences de soins" dans l'enfance ou des ambitions théâtrales déçues, cela n'a pas bien grande importance finalement.
Le film respire la liberté, celle du pape qui ne veut pas être pape, celle du garde suisse qui danse en se goinfrant dans la chambre du pape, celle des cardinaux qui veulent faire l'école buissonnière. Qu'elle soit refusée ou accomplie, la liberté est partout présente dans les histoires de ce film, comme dans cette caméra détachée des injonctions et des tendances esthétiques du cinéma actuel. Et c'est une très grande fenêtre qui s'ouvre sur le Vatican, sur l'Italie, sur le théâtre, un peu aussi sur la psychanalyse, un grand bol d'air frais, un cinéma formidablement vivant, sain, ouvert.
En fin de compte, cette attitude très respectueuse, très proche est d'une fraicheur tout à fait réjouissante. Ma femme et moi avons passé un très agréable moment de cinéma.
Mini trombi:
Jerzy Stuhr (au fond à droite):
Renato Scarpa:
Franco Graziosi:
Ulrich von Dobschütz, Nanni Moretti et Roberto Nobile:
On écrit "casus belli" mon chéri.
RépondreSupprimerSur ce, cassos.
Pfff, quelle cassos boulos cette fille!
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