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J'aime beaucoup ce film. Et pourtant, a priori, il n'a rien d'exceptionnel et même pourrait-dire dire sans faire scandale qu'il fait partie de ces tout petits films commerciaux bâtis uniquement sur leur vedette. Un film à vocation lucrative. Modeste sur le plan cinématographique et que certains ne manqueront pas de trouver tristement banal.
Pourtant je ne peux m'empêcher d'y trouver mille menus détails d'une infinie richesse. Étonnante subjectivité. Il me faut avouer que l'essentiel de mon plaisir à voir ce film ne provient pas de qualités "standards", de type cinéphilique ou technique mais bien plutôt de qualités parallèles, pas forcément maitrisées, pensées, décidées par les auteurs.
Il est question de temps, d'époque. J'aurais envie de parler de nostalgie encore une fois, une de mes manies, mais le terme n'est pas ici forcément le plus adéquat. Je n'ai pas connu l'époque où a été tourné ce film. Il y a cependant une respiration qui me rappelle quelque chose, peut-être une insouciance, celle de mon enfance, ou disons dans laquelle baignait une partie de mon enfance. Peut-être est-ce une construction analytique personnelle, que j'ai envie de voir dans mon enfance ce genre d'insouciance? Quoiqu'il en soit, ce film, cette histoire, ces personnages me parlent. Des images me parlent. Des objets, des attitudes. Il y a là un mystère sur lequel je ne cesse de m'interroger.
Poisson d'avril est de ces films qui appartiennent totalement à leur époque. Celui-ci à l'après-guerre. Cela fait huit-neuf ans que la guerre est finie, la reconstruction bat son plein. Cette histoire est traitée d'une manière édulcorée et cela donne un caractère tout particulier à ce film.
On a là une histoire qui confronte deux milieux sociaux bien distincts, réunis par un adultère et une circonstance extraordinaire (l'enquête d'un garde champêtre joué par
De Funès, à noter qu'au générique, il n'a pas encore imposé son prénom, signe d'une certaine proximité ou connivence avec le public, déjà). Cet adultère est peut-être le seul élément de subversion. Et encore est-il présenté comme un événement acceptable, presque naturel. La cousine de
Bourvil,
Jacqueline Noëlle, vit aux crochets d'un vieux beau, fortuné
Pierre Dux, qui l'entretient dans une maison de campagne près de Paris. Y coule une rivière poissonneuse.
Jacqueline Noëlle invite
Bourvil à y venir pécher le dimanche, en cachette de sa femme.
Film d'époque, l'histoire nous présente des comportements largement disparus de nos jours, ou alors qui paraîtraient foncièrement déraisonnables, si ce n'est immoraux.
Bourvil est mécano et passe son temps tout comme son patron à flâner dans les grands magasins du centre ville (le "Bazar de l'Hôtel de Ville" pas encore acronymé en BHV, encore qu'une affichette le désigne ainsi sur un plan fugace) ou alors au café appelé la "succursale" du garage.
On y joue au baby-foot, on y picole des petits blancs, on y discute, on y rigole, on y paye des coups "sur mon compte". Au garage c'est tout aussi léger : on y gruge avec le sourire entendu un riche client, un brin crétin, le pauvre
Jean Hébey.
Bourvil se fout royalement des récriminations puis de la contre-danse que lui met le garde-champêtre. Sa cousine conduit sans permis.
Bourvil lui indique qu'effectivement elle n'en conduira pas pour autant mieux mais que des lois sont passées, qu'elle risque d'avoir des problèmes. Il ne s'en formalise pas plus. L'adultère auquel elle se livre ne l'effarouche pas vraiment. Tout au plus lui dit-il qu'elle ferait mieux de se ranger.
D'autre part la rencontre entre
Denise Grey -l'épouse trompée de
Pierre Dux- et
Annie Cordy -celle de
Bourvil- met en lumière un fait étonnant : l'épouse trompée ne semble pas se révolter plus que cela de l'adultère de son mari. "Encore un" semble-t-elle penser. C'est pourtant elle qui tient les cordons de la bourse. On ne divorce donc pas encore à l'époque?
Annie Cordy a bien du mal à croire que son mari en fait autant. Quand elle sera convaincue, sa réaction sera explosive quant à elle.
Les différences entre les milieux populaires et grand bourgeois donnent lieu à quelques gags, habituels mais en aucun cas elles ne suscitent une indignation ou une quelconque revendication. C'est avec un naturel désarmant que
Bourvil s'acquitte de sa tache (passer pour le fiancé de
Jacqueline Noëlle pour étouffer les soupçons de
Denise Grey à l'égard de son mari).
Pierre Dux fait passer
Bourvil pour le propriétaire de son garage alors qu'il n'est qu'ouvrier. être ouvrier est encore un statut un peu honteux pour les gens de la haute.
Bourvil, lui, s'en cogne un peu, c'est bien
Dux qui ne peut envisager d'avoir un ami prolo, même si cette amitié est fondée sur des faits de guerre.
Bourvil lassé de jouer la comédie plus que d'être déconsidéré socialement s'irrite d'avoir à mentir à sa femme. Il trouvera une rétribution dans l'extorsion d'une machine à laver, contre prix de cette comédie.
Objets et parures divers viennent visuellement témoigner de l'époque décrite, tout autant sinon plus que les comportements des personnages.
Ce désir ardent de machine à laver chez
Annie Cordy et l'œil circonspect de
Bourvil vissé sur les affiches de prix trop exorbitants pour les modestes ressources de son foyer viennent rappeler la fièvre acheteuse, la découverte jouissive de la consommation de masse lors des premières années des trente glorieuses. Quand enfin la machine est livrée à l'appartement,
Annie Cordy s'illumine. Orgasme démultiplié par le fait qu'elle apprend que son mari ne l'a pas trompé comme elle le croyait.
La France sort à peine de la guerre. Plein d'objets nous l'attestent. L'époque est visible partout.
La voiture du garage est une Jeep récupérée dans le stock américain et adaptée pour les dépannages.
Les bars font de la place pour le baby-foot. Un cheval tire un rouleau à la campagne.
Pas de tracteur en vue. Les rues sont encore largement pavées. Des hangars sont encore en partie faits de bois.
Les rues de Paris ne sont pas submergées de voitures, le trafic est peu dense.
Les voitures sont légions à évoquer un temps oublié. A commencer par le taxi ou la voiture de
Pierre Dux, sortes de traction avant des années 20/30.
Celle de
Jacqueline Noëlle représente la modernité carrossée avec son auto-radio et sa coupe effilée : une Panhard. Qui se souvient des Panhards?
Qui se rappelle ces distributeurs manuels d'essence antiques?
La France redécouvre les loisirs.
Jacqueline Noëlle arbore fièrement sa tenue de jardinage.
Bourvil s'octroie l'acquisition d'une canne moderne (en bambou hawaïen, héhé) pour pécher le dimanche.
L'époque marque aussi le film dans les décors et le goût de chiottes prononcé des contemporains. Bars maritimes, sculptures en évidence, coussins à froufrou démontrent que possession et ostentation sont les deux mamelles de la mode domestique de ce temps frivole. La manque durant la guerre fait place à la charge des temps d'abondance. Rattraper le temps et l'espace perdus.
Bien entendu, tout ce qui a été décrit jusqu'ici ne suffit pas pour expliquer le plaisir que j'ai eu à suivre ces personnages. Il n'est pas juste question d'habillage d'un réel passé. Il a fallu pour que le film soit agréable qu'il y ait un tant soit peu de talent derrière cette forme. Le film en effet n'en manque pas.
Au scénario,
Grangier s'adjoint les services de
Carlier, que je ne connais pas, mais surtout du dialoguiste
Michel Audiard, qui à ce moment là n'en est plus à son coup d'essai, il commence à avoir un peu de bouteille. Le porteur de casquette n'en est pas à inventer un parlé bien à lui, fleuri et imagé, d'une liberté ébouriffante, mais par-ci par-là, son écriture transpire. Aucun doute.
Il serait totalement injuste de voir dans ce scénario qu'un assemblage de dialogues. Il respire l'équilibre et la simplicité. En un mot, il est efficace. On profite d'un travail solide, bien balancé. Les différents temps du film respectent une symétrie presque parfaite, insufflant au récit un rythme posé et d'une fluidité sereine. Extrêmement lisible.
Le ton et l'atmosphère du film est d'une gaité égale étonnante. Les auteurs privilégient la comédie de bout en bout. Pour les personnages, quand les évènements sont contraires, le spectateur reste persuadé que cela n'a pas d'importance et que de toute manière cela ne durera pas. Jamais le film n'effleure la gravité. C'est aussi ce sentiment incroyable de sécurité qui me fait dire que le traitement est édulcoré. Pas une mouche dans le lait. Pas de violence, pas de malheur, pas une once de crainte. En somme le film prend des airs irréalistes, sans pour autant tomber dans l'absurde. Un film fantaisie, un film bonbon.
La musique souligne encore plus cet aspect aérien. Une chanson signée
Boby Lapointe et chantée par
Bourvil revient en fond musical tout le long du film (au moins dans le sifflement insouciant de
Bourvil). "Aragon et Castille" dans le style inimitable de
Lapointe est une chanson gaie, presque loufoque, heureuse de vivre, une chanson de pinson rieur et se marie idéalement au ton guilleret de tout le film.
Pour finir... bordel, j'ai cru que je n'arriverais jamais au bout de cette critique! J'ai une excuse : je ne comprends toujours pas pourquoi j'aime ce film. D'intrigant, cela devient presque obsédant. Il me faut chercher des explications, mettre des mots là-dessus. Force est de constater que je demeure perplexe devant ce flot d'hypothèses plus ou moins élaborées. Reste que je ne sais pourquoi les multiples détails chronologiques me transportent autant. Difficilement analysable.
Pour finir, donc, le film permet de retrouver des comédiens, des têtes familières qu'il est si agréable de revoir.
Bourvil joue
Bourvil. On a droit à une scène d'ivresse. C'est un passage obligé.
Pierre Dux ne fait pas d'étincelles mais son rôle est bien tenu, il tourne à l'essentiel.
Jacqueline Noëlle est jolie mais son jeu ne dépasse pas l'ordinaire.
Des sœurs Grey, seule
Denise a un rôle important. Elle est déjà vieille, c'est incroyable.
Annie Cordy quand elle était jeune, était d'une beauté sidérante. Si un jour on m'avait dit que je louerais la beauté d'
Annie Cordy... foutre!
Parmi les acteurs qui participent de la bonhomie générale du film,
Louis Bugette est immanquablement en première ligne, souriant, jovial, fort sympathique.
Dans le bar, le patron me dit quelque chose, impossible de retrouver son nom mais je parierais volontiers sur
Paul Faivre.
Quel plaisir de retrouver
Maurice Biraud en train de faire son numéro de gouailleur au BHV! Petit passage mais pleinement réussi.
De même pour
Louis de Funès, qui fait mouche en garde champêtre vicelard et chevelu.
En faisant les captures, quelle ne fut ma stupéfaction de découvrir parmi les clients rigolards du bar se trouvait le jeune
Charles Denner, merde alors!
Elle, je ne retrouve pas son nom, mais sa jolie binette me dit quelque chose!
Un tout petit rôle de
Charles Lemontier :
René Havard, tout aussi petite apparition :
Gérard Sabatier :