Quand le reptile se fait des pellicules, des toiles, des pages et des dessins... Blog sur l'image et la représentation en général. (cliquez sur les captures pour obtenir leur taille originale)
jeudi 30 juillet 2015
Les dents de la mer
1975
Titre original: Jaws
Titre francophone: Les dents de la mer
Cinéaste: Steven Spielberg
Comédiens: Roy Scheider - Robert Shaw - Richard Dreyfuss
Notice SC
Notice Imdb
Vu en dvd
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J'ai vu beaucoup de mauvais films ces derniers temps et une cure de chefs-d'œuvre permet de remettre les choses en place. Après une soirée en compagnie de Grace Kelly, Jimmy Stewart et Alfred Hitchcock, nous voici avec Roy Scheider, Richard Dreyfuss et Steven Spielberg.
C'est l'été, il fait chaud, on passe la matinée à la plage et le soir on se remémore la douceur de vivre dans l'eau salée en regardant "Les dents de la mer". Drôle d'idée, non ? Y aurait-il pas comme un air de perversité par hasard dans ma famille ?
Quoiqu'il en soit, ce film est tout de même un film d'été. Sous ses airs de film pop-corn se cache un grand travail d'orfèvre. La mécanique que met en place Spielberg est millimétrée. Pas étonnant dès lors que cet immense cinéaste ait produit une chiée d'ersatz parmi ses confrères suivants. Combien de cinéastes américains ont fait du Spielberg après lui? On ne les compte plus, même de notre côté de l'Atlantique.
Reste que le meilleur pour faire du Spielberg, c'est Spielberg. Et les dents de la mer est une excellente illustration de ce qu'il est capable d'inventer dans l'art de raconter une histoire avec une caméra. Ses travellings, des jeux de cadrage, sa photographie toujours très sophistiquée, l'usage du reflet ou de la transparence, son art du montage exceptionnellement lisible et chronométré, sa capacité à nulle autre pareille d'associer l'image au son pour maîtriser ses ambiances (avec les bruitages ou la musique de John Williams), tous ces éléments se combinent à merveille pour mettre en place un spectacle toujours extraordinaire d'efficacité.
Steven Spielberg est à l'instar d'un Hitchcock un de ses rares cinéastes à être passés très vite au rang de grands maîtres de la narration. Il le prouve régulièrement sur de nombreux films, alors en quoi ce film-là "Jaws" est-il si singulier ? D'aucuns diront qu'il ne l'est pas autant qu'on voudrait le croire car il emprunte beaucoup à son devancier "Duel". Certes, il y a de nombreux points communs, et non des moindres, entre les deux films. Notamment, cet inexplicable et donc angoissant acharnement du méchant à vouloir la peau du héros. En effet, qu'il s'agisse d'un camionneur ou d'un requin, d'une route désertique ou d'un mer calme, il est toujours question d'affrontement entre une entité intelligente dont on ignore tout des motivations et un personnage qui ne comprend pas ce qui lui arrive, le mettant d'emblée dans les souliers du spectateur tout aussi perdu.
Le policier (Roy Scheider) de la petite bourgade balnéaire se demande au début du film s'il n'a pas fait une erreur en sollicitant ce poste dans un coin aussi paumé. La quiétude du bled risque fort d'être un peu trop pépère, voire emmerdante pour l'ancien flic new-yorkais.
Et cet animal qui se joue des hommes semble un requin dans un jeu de quilles de bateau, trop malin, trop gourmand croquant, trop. Impossible de comprendre. La bête flirte avec l'irrationnel, le démoniaque, la monstruosité. Et le film de tendre sa pellicule vers le monde cauchemardesque de la veillée, vers ces histoires qu'on se raconte au coin de l'âtre pour faire peur aux petites filles. Le grand méchant loup veut manger la mère-grand et c'est la poupe qui cherra, pas de bobinette sur le grand bleu!
Mais, à la différence de "Duel" qui instituait une sorte de confrontation mécanique, à l'origine mystérieuse, régenté par le monde de la route, entre bitume et gaz d'échappement, l'affrontement de l'homme face à la machine, un duel industriel fait de pneumatiques, de bielles et de gas-oil, cet affrontement-ci, maritime, est beaucoup plus enraciné dans la matière animale, dans la nature. Le requin est la bête mythologique, le Minotaure aquatique, monstre des Enfers venu des profondeurs invisibles pour hanter à la surface le cœur des hommes. Ces derniers sont tour à tour curieux, inquiets, fascinés, attirés par la mort incarnée par cet animal fabuleux, animé par on ne sait quel moteur. L'affrontement est presque métaphysique comme si les hommes étaient nés, avaient grandi pour ce dernier combat, pour cette rencontre avec leur propre indicible, la peur qui ronge le fond du ventre. Le requin est bien plus qu'un requin : il est une question qui interroge le sens de leur vie. Ça, c'est le regard branlette qu'on peut poser sur le film.
On peut également se contenter de le voir comme un film bien foutu, pour faire peur, se divertir. Mais je reste persuadé que Spielberg n'est pas qu'un enfant fasciné par ses propres peurs, ce serait trop facile, il est aussi un grand cinéaste de spectacle. Plus encore, il est toujours plus ou moins question de confrontation entre un homme lambda, l'Américain moyen, face à l'objet de ses peurs. Ici, Roy Scheider n'aime pas la mer, ailleurs Indiana Jones aura peur des serpents et surtout des nazis, le paléontologue de Jurassic Park détestera les gamins, etc. Cette quête initiatique de solution n'est peut-être pas aussi nette dans sa filmographie, mais elle apparaît bien ici en tout cas.
D'aucuns trouveront dans sa carrière des films où un certain conservatisme est quelque peu rendu, sinon indispensable, au moins rassurant. Certains détracteurs iront jusqu'à évoquer un côté réactionnaire à son cinéma. Pour ma part, je trouve cela exagéré, mais pas totalement sans fondement non plus. La famille traditionnelle est au centre de son cinéma. Les dents de la mer est à ce propos lui aussi pleinement un film centré sur un héros malmené et dont la famille se retrouve, de fait, en péril. Avant de se battre contre le requin, le père de famille doit d'abord lutter contre l'affairisme du maire dont les préoccupations sont essentiellement financières. L'engagement de la lutte est avant tout une question politique de priorités discutées. La famille reste l'axe d'où toute la geste du shérif est initiée. Alors que la priorité du maire est la contingence économique, plus large, éloignée de la proximité familiale.
Peu importe que Quint, joué par Robert Shaw, en vieux loup de mer, pas loin d'un Achab, peu importe qu'il engage un combat suicidaire avec la bête, il n'a évidemment pas de famille à protéger, sa relation à la mer, à l'animal est tout autre.
Hooper (Richard Dreyfuss) incarne encore une autre facette, celle de la curiosité, du savoir en marche, ce besoin viscéral qui anime le savant. Il met son courage au service de la science. Il donne son corps. En victime sacrificielle, il n'hésite pas à entrer dans la cage-appât.
La lecture des personnages peut être plus large, multiple. Elle donne quoiqu'il en soit de bien belles scènes de partage, de quiétude. Superbe maîtrise des temps de l'écriture comme du montage, ces respirations sont le calme mettant formidablement bien en avant la tempête qui suit. Les acteurs sont très bons.
Quel plaisir de retrouver le facétieux Richard Dreyfuss, cabotin qui reste néanmoins génial de justesse. J'aime beaucoup ce comédien. Il dégage une vérité comme sait si bien nous en livrer l'Hollywood des années 70.
Très étrangement, j'ai trouvé le doublage français de Quint (Robert Shaw) bien meilleur qu'avec la voix originale. La voix de Robert Shaw n'est pas aussi rocailleuse que celle du français André Valmy, que je viens d'avoir le plaisir de revoir dans l'excellent "Maigret tend un piège". Gros travail de doublage : la narration du naufrage est frissonnante en version française. C'est assez rare (du moins pour moi) pour le signaler.
Roy Scheider n'est pas un comédien qui me séduit particulièrement de façon générale, mais j'avoue que dans ce film, son air de chien battu est plutôt bien en adéquation avec ce que subit le personnage.
Ce monument du cinéma d'effroi est une assurance tout risque : à chaque revoyure le plaisir est garanti, aucune perte d'intérêt, malgré la disparition de la surprise, on est toujours autant charmé par la démonstration de talent narratif de Steven Spielberg.
Trombi:
Lorraine Gary:
Murray Hamilton:
Jeffrey Kramer:
Susan Backlinie:
Jonathan Filley:
Ted Grossman:
Chris Rebello:
Jay Mello:
Lee Fierro:
Robert Nevin:
Edward Chalmers Jr.:
Fritzi Jane Courtney: (centre)
Peggy Scott:
Wally Hooper Jr.:
Minions
2015
Cinéastes: Kyle Balda - Pierre Coffin
Notice Imdb
Notice SC
Vu en salle
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Sortie en famille, histoire de faire plaiz au gamin, de goûter à la clim du cinoche et d'échapper à la chape de plomb qui titille les 40 degrés. On prend le film comme une crème glacée, pas plus, pas moins, un divertissement pur, gentiment rigolo, tout frais.
Autant dire de suite que ces personnages ne veulent rien dire. Ce film n'a aucun sens profond, caché. Ils sont, comme le titre l'indique, mignons, tout ronds, tout jaunes, tout globuleux. Leurs aventures n'ont aucune portée significative.
Visuellement, rien de notable. Le film est plein de couleurs, de mouvements, comme la majeure partie de la production animée depuis 10 ans. Pas de révolution. Pas non plus de mauvaise surprise. Techniquement, le film n'affole pas. Le travail est fort correct. A peine ai-je eu quelques réticences sur les textures par endroits, mais je crois que c'est plus un problème de projection qui ne se verra plus sur Blu-ray. J'ai eu l'impression que c'était un peu flou dès le générique. Bizarrement, le film sera en effet plus joli à la maison.
Non, ce qu'on retiendra, c'est la minionité des minions, l'étrangeté attendrissante de leur physique et l'amusante absurdité polymorphe de leur langage, "merguez, moule, frite".
Il y a un gros potentiel à charmer les enfants avec ces corps de bonbons jaunes. Ce qui n'a pas échappé à la production qui dégueule largement hors le film : la promotion est gargantuesque, le nombre de publicités incluant les minions avant la projection du film lui même est ahurissant.
lundi 13 juillet 2015
Fenêtre sur cour
1954
Titre anglophone: Rear window
Titre francophone: Fenêtre sur cour
Cinéaste: Alfred Hitchcock
Comédiens: James Stewart - Grace Kelly - Wendell Corey - Thelma Ritter - Raymond Burr
Notice Imdb
Notice SC
Vu en dvd
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Pour moi, le cinéma est entier, tout rond, tout carré dans ce film. Je l'ai vu mille fois, partout, sur VHS, à la télé, en dvd, en grande salle de ciné, dans un vieux cinéma du centre de Bordeaux et qui n'existe plus, en face du Français, lors de la ressortie des chefs-d'œuvre d'Alfred Hitchcock dans les années 1980 et même au ciné-club du collège Cassignol, toujours dans mon Bordeaux adolescent. Ah, si! Il me manque le Blu-ray !
Le souvenir le plus marquant reste cette séance du ciné-club. Je crois que c'est la deuxième fois que je voyais le film. Je me rappelle avoir adoré cette revoyure, l'ambiance que le film avait su imposer à cette salle de cantine, à ce public le cul torturé par des chaises inconfortables, je me souviens le plaisir cinématographique à l'état pur.
Je le revois aujourd'hui et je sirote encore la perfection dans l'écriture, le tempo, le jeu des acteurs, le son hitchcokien de ses films avec le bruissement de la ville, la musique jouée par un pianiste, les coups de klaxon au loin et les palpitations de cette cour. Dommage que le DVD soit si pauvre. A l'usage du Blu-ray, on prend des goûts de luxe.
Fenêtre sur cour est avant tout le cinéma parce que son thème principal est le rapport plein d'ambiguïté entre l'homme (le public voyeur) et le spectacle, même si celui-ci est intime. Surtout s'il est intime, devrais-je dire. La limite avec l'interdit est parfois floue. Et toute la saveur du film provient de cet entre-deux difficile à cerner.
SPOILER
Si le héros n'avait pas pénétré dans l'intimité de ses voisins, il n'aurait pu découvrir un assassinat.
FIN SPOILER
Au-delà du regard moral que l'on pose sur le voyeurisme, inspecté de fond en comble tout le long du film, c'est plus largement la question du bien et du mal qui s'invite à la réflexion. Que ce soit par le truchement du zoom de son héros ou bien par la caméra du cinéaste, l'intrusion de la vision est la même. Les implications violentes dans la vie privée des personnages sont différentes bien entendu (entre fiction et réalité), mais ce décalage est comme absorbé et annihilé par l'accord tacite entre le créateur de l'histoire et son audience. Le public "oublie" un instant l'irréalité de la fiction, accepte le jeu du faux-semblant, l'apparence de réel, a fortiori l'imposition d'une création de fausse réalité qui a tellement bien des airs du vrai, tout cela pour accéder au divertissement, au plaisir, au rêve ou à la pensée.
Et avec Alfred Hitchcock, on est servi! Il ne nous vole aucune part de la marchandise. On a droit à toute la panoplie du spectacle agréable et intelligent, redoutablement efficace. Le fond et la forme se confondent comme rarement au cinéma.
Le scénario est un petit bijou de huis clos qui fait oublier ses limites. La structure temporelle est incroyablement maîtrisée. Les enjeux romantiques sont insérés à l'histoire principale avec astuce. Le scénario très malin fait coïncider le devenir amoureux entre James Stewart et Grace Kelly avec les différentes histoires de couples.
Là encore, on a droit à toutes les situations imaginables : la danseuse courtisée pendant que son homme est au service militaire, le pianiste célibataire qui malgré les sauteries qu'il organise chez lui ne trouve chaussure à son pied, la femme plutôt mûre qui se désespère de ne tomber que sur des goujats, le petit couple de vieux avec leur petit chien sur leur petit balcon et qui semblent s'accommoder de cette petite vie tranquille, le jeune couple lors de leur nuit de noces et qui, petit à petit, découvre les joies de la routine quotidienne, le mari mangé par sa femme et que l'on soupçonne vite de l'avoir zigouillée, le photographe baroudeur qui hésite à abandonner sa liberté de célibataire pour s'engager avec une femme qu'il croit trop évaporée et citadine. On trouve même un détective privé dont l'épouse joue les standardistes au téléphone et pour finir une infirmière philosophe dont l'amour conjugal semble sans l'ombre d'une faille, qui ne s'analyse pas, comme une évidence. Cela fait beaucoup de monde et pourtant, tout ce fatras affectif s'imbrique à la perfection dans le récit.
Le texte est superbe. Certaines discussions sont écrites de façon à être entendues à double sens. Beaucoup d'ironie, d'humour pince-sans-rire émaille les répliques. On parle énormément dans ce film, sans doute moins qu'on ne regarde néanmoins.
Le travail des acteurs pour exprimer sans parole des émotions ou des réflexions est spectaculaire. Or, cela ne se limite pas aux comédiens principaux.
James Stewart
est au sommet de son art dans ce domaine par exemple. Une large part du film repose sur ses épaules, je devrais dire sur son visage, son regard.
Grace Kelly
apporte sa beauté à la fois naturelle et sophistiquée. Quelle incroyable créature ! Bien évidemment, sa blondeur, l'élégance de ses traits, surtout la féminité de ses gestes sont sublimés par la caméra d'Hitchcock, tellement habile à érotiser ses actrices.
Mais ces aptitudes à faire "parler" les corps, je le disais plus haut, ne sont pas limitées aux deux acteurs principaux, il y a deux ou trois scènes où Wendell Corey
réussit à en dire long avec son visage et ses attitudes face à James Stewart et Grace Kelly.
Même si cette histoire ne produit pas un suspense démentiel, reste que la peur d'être vu éprouvée par le voyeur, d'être pris la main ou l'œil dans l'appartement d'un voisin est naturellement ressentie, mettant une fois de plus le spectateur devant ses contradictions, entre le désir de voir sans être vu et le sentiment de culpabilité d'être un voleur d'intimité, ce qui demeure un interdit social très fort. Ce suspense hitchcokien n'est peut-être pas aussi intense qu'il a pu l'être sur d'autres films, n'empêche, il n'est pas juste un procédé mécanique et astucieux pour divertir, il est très bavard et nous dit plein de choses qui fouillent l'âme à la recherche des petits trucs cracras qu'on y cache. Y a pas à dire, messieurs dames, monsieur Hitchcock sait raconter des histoires transcendantes! Y a du jus de cervelle derrière chaque image !
Trombi:
Thelma Ritter:
Raymond Burr:
Judith Evelyn:
Ross Bagdasarian:
Georgine Darcy:
Sara Berner et Frank Cady:
Jesslyn Fax:
Irene Winston:
Rand Harper et Havis Davenport:
Alfred Hitchcock:
Ralph Smiley:
Jack Stoney:
Anthony Warde:
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