vendredi 12 octobre 2012

Trrou Korrou



Début XIXe

Trrou Körrou
Alias: Trou Körrou

Artiste inconnu

Article Lankaart
Page du Pavillon des Sessions du Louvre 
Musée Quai Branly au cœur du Louvre







J'ai vu cet été de si belles créations que j'ai décidé d'élargir mon espace de commentaires à l'admiration de sculptures et de peintures dont l'attrait formel et émotionnel  se rapproche en quelque sorte des autres arts visuels comme le cinéma ou les séries télé. Tout de même, il s'agit encore de formes, de couleurs, de lignes, de textures et d'émotions, de sensations qui vont avec!

Je commence donc par un personnage qui m'a de suite happé. Je partage ce coup de foudre avec mon épouse. Depuis lors il veille sur nous : un collage de photos agrandies et bien agencées se déployant sur le mur de notre salon nous permet de le contempler à satiété. Il s'agit d'une sculpture mélanésienne, créée sur l'île de Malo dans l'archipel Vanuatu. Son nom "Trrou Körrou" signifie "celui qui est dressé devant vous, qui vous regarde". Nous l'avons admiré au pavillon des sessions du Louvre où sont présentées les œuvres d'arts premiers.

Cette statue de bois a été conçue pour impressionner, en mettre plein la vue et bordel à queue, ça fonctionne encore à plein régime! Dans la société de cette île les grands hommes se réunissaient dans une maison de la communauté et seuls les hommes plus importants pouvaient y accéder. Pour ce faire, il fallait faire la preuve de son pouvoir, de son haut rang en offrant à la maison de la communauté un objet prestigieux qui ferait l'admiration de tous. Cette statue avait donc un rôle social et politique important. Voilà pour l'aspect ethnographique ou historique.

Maintenant contemplons-la et sirotons la beauté plastique des courbes et des couleurs. Outre sa forme allongée, comme un pilier, en sorte de totem, très fine, sensuelle et majestueuse, c'est sa couleur qui de loin a eu tôt fait d'attirer mon regard. Je me souviens l'appel de cette grande tige bleue dans le fond de la salle que mes yeux ont accroché de suite. Ce bleu est un peu délavé. Je ne sais s'il avait ce même éclat un peu passé du temps de sa création au début du XIXe siècle. Toujours est-il qu'aujourd'hui la lumière joue admirablement de ces nuances entre le bois un peu ocre, jaune très clair et le bleu ciel, délicat, aérien, il se dégage quelque atmosphère d'une légèreté extraordinaire. Voir cette statue a produit sur moi cet émerveillement de l'enfant devant le numéro d'un magicien. La part de mystère est indéniable. On ne sait pas de quand elle date. Qui est représenté? Est-ce une allégorie, une divinité, un personnage particulier, le commanditaire de l’œuvre, le sculpteur? On ne sait pas non plus ce que signifie cette posture que prend le personnage, on est juste balayé par la profondeur de ce regard plissé qui semble voir loin, très loin, peut-être au plus profond de l'âme de celui qui se trouve devant lui. D'où sans doute le sentiment de grandeur, la majesté de cette statue qui réussit parfaitement à remplir son office : rendre humble qui se trouve en face.

Je parlais de mystère : comment ne pas être fasciné par ces scarifications ou tatouages dont je ne vois évidement, pauvre inculte européen que je suis, la moindre goutte. Je reste ébahi par la beauté formelle mais également interloqué par la position même du personnage. Et peut-être spécifiquement le dessin de sa poitrine avachie, cette posture un peu rentrée du torse, mettant en valeur ce ventre, ce bidon décoré. Avec un peu de réflexion, il me vient l'idée de plus en plus persuasive que c'est là la posture et le corps d'un homme âgé, un vieux sage et qu'il nous contemple du très haut de son expérience.

Regardez la finesse des traits du visage, l'élégance des mâchoires, cet aigu du menton, cette moue boudeuse des lèvres. Et cette pointe ouvragée qui part du sommet de son crâne... est-ce d'un casque? Que veut dire tout cela, je n'en sais rien et me contente alors de savourer l'objet, l'unité que tous ces éléments font naître. L'ensemble est une belle ligne, haute, hardie, tellement séduisante. Je sirote les impressions très émouvantes qui se développent. On est au spectacle devant une créature pareille.

Il faut saluer l'intelligent agencement de l'éclairage de ces salles du Louvre : il met magnifiquement en valeur les superbes œuvres qui y sont sauvegardées. C'est particulièrement vrai pour "Trrou Körrou" avec son ventre jaune et bleu. La lumière accentuant les aspérités dues à la texture du bois donne une envie irréfrénable de toucher.
 
Nom d'un dieu que c'est beau, j'y retournerai!

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