Quand le reptile se fait des pellicules, des toiles, des pages et des dessins... Blog sur l'image et la représentation en général. (cliquez sur les captures pour obtenir leur taille originale)
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mardi 29 avril 2014
Déviation obligatoire
2004
Alias: Déviation obligatoire
Auteurs: Philippe Chevallier - Régis Laspalès
Metteurs en scène: Philippe Chevallier - Régis Laspalès
Comédiens: Philippe Chevallier - Régis Laspalès
Le duo Chevallier/Laspalès est très difficile à appréhender, j'ai même envie de dire "apprivoiser", tellement il y a quelque chose de très obscur qui heurte la sensibilité de beaucoup de gens face à cet humour qu'on discerne avec tant de mal. La méthode le plus courante est de ne pas se poser de questions : on aime ou on déteste, sans savoir pourquoi.
Dommage, dans les deux cas, c'est faire peu de cas de ces deux bonhommes, leur parcours, leurs aspirations, leur travail. Quels sont les reproches qui reviennent souvent à leur encontre? Leur humour serait réactionnaire, misogyne, puéril, au fond méchant. Dans une certaine mesure, ces deux-là auront bien du mal à les réfuter totalement ces critiques. Toute leur carrière démontre que ce n'est pas toujours faux.
Mais, ce n'est pas suffisant. Si l'on s'arrête à ça, je crois qu'on loupe un truc qui ce serait injuste à la limite. Ils sont réacs, mais ils ne sont pas uniquement cela.
Ils disent qu'ils écrivent tous les deux, mais je crois que des deux, Philippe Chevallier est le plus proche de l'écriture. D'abord, c'est le plus bavard, le plus discursif sur scène comme en dehors.
Régis Laspalès est davantage dans le jeu physique. Il en joue énormément de son air benêt, de son accoutrement excentrique, hors d'âge, de sa barbe collier à la douteuse immuabilité, etc.
Tous deux forment un couple de clowns classique, dans la tradition d'Auguste et du clown blanc. Et de leurs conversations où l'absurde est partout présent surgit finalement une certaine poésie. Alors, certes, , très souvent ils se laissent déborder par des facilités, assez visibles, qui peuvent aller jusqu'à une vulgarité très lourdingue ou un humour très agressif. Mais il n'en demeure pas moins vrai que la plupart du temps de leurs sketchs il émane un univers incroyablement unique, bien construit, quelques fois même très bien écrit. S'il n'y avait ces petits élans vulgaires, nés d'une certaine fainéantise ou d'un esprit volontiers régressif, ils seraient sans doute beaucoup mieux perçus par les critiques. Celles-ci verraient plus aisément que l'imaginaire dans lequel ils baignent leurs histoires est d'une belle valeur créatrice. Voilà un long préambule, mais il me semblait opportun de poser ces bases avant de me pencher sur cette pièce. Cette nécessité de contextualiser mon approche du couple Chevallier/Laspalès est d'autant plus forte que je vais quelque peu les égratigner.
Car je préfère cent fois plus leurs premiers sketchs à cette pièce. "Déviation obligatoire" est une histoire abracadabrante dans le fond, mais s'établit sur des fondations de quiproquos somme toute parfaitement banales. Déjà a priori, on sent peut-être une faiblesse dans la structure. Quelques fois au cours de la représentation l'écriture en forme de sketchs amalgamés avec plus ou moins de bonheur apparaît évidente. Oh, pour être tout à fait honnête, ce n'est pas là un grand reproche. D'ailleurs est-ce vraiment ennuyeux qu'une pièce ait ainsi une forme fragmentée? Pas forcément. Cela sort un peu le spectateur de l'intrigue, quand ça se voit trop, lui rappelant la formation, la carrière sur scène des deux olibrius.
Sinon, ces sketchs ont encore cette saveur de douce imbécillité. A ce propos, le titre est bien trouvé. Il s'agit bien de cela, de cette déviation des personnages, dans le discours comme dans le fond. Ce sont des exclus, des parias, qui se trouvent sans le vouloir dans d'éternelles positions fausses. Par bêtise ou tournure d'esprit déviante? On peut encore se poser la question, même si la première option semble la plus commode.
Quoiqu'il en soit, les deux comédiens semblent heureux d'incarner ces deux extravagants personnages qui leur vont à ravir. La musicalité du texte -les deux comédiens prennent un net plaisir à le dire- accompagne un récit frôlant l'absurde quand il ne s'y adonne totalement avec ces deux personnages déconnectés de la réalité. Par moments, on a l'impression qu'ils viennent d'une autre pièce, se retrouvent perdus ici sur une scène qui ne les attendait pas. Comme si des personnages de Ionesco étaient tombés dans un "boulevard". Les deux "lunaires" promènent leur incompréhension du monde la plupart du temps de façon innocente et gentille. Le grotesque est poussé à un tel paroxysme qu'il en devient finalement pitoyable et les personnages touchants. C'est là une des forces qui fait le succès de ce couple de comédiens. Au fond, ils attendrissent.
Pourtant leur humour, leur déphasage constant peut se révéler cruel, comme celui d'un enfant dans une cour de récré. C'est là que le côté puéril gâche un peu. J'ai du mal avec l'humour (si tant est que ce soit de l'humour) physique quand il est méchant. Ici, on fait rire avec une grosse femme : l'actrice Marie Borowski attire à elle les insultes d'un Chevallier tout content de dire des insanités. Je n'arrive pas à trouver cela drôle. Je n'y ai pas accès, désolé. Ça me parait agressif, bas de plafond, fainéant, facile.
Sinon le texte joue énormément sur les mots, leurs prononciations, mais aussi sur leurs sens. Certains passages sont presque "devosiens". Dans ces moments là, je prends un grand plaisir à ces conversations complètement irréelles. Je retrouve là tout l'équilibre, le mode fantasque sur lequel Chevallier et Laspalès dansent la gigue depuis si longtemps. Un vrai plaisir.
Sur le jeu des acteurs, Chevallier et Laspalès font ce qu'ils savent faire depuis toujours. Ils ne jouent pas vraiment, ils font les clowns, instaurant un jeu amical, entendu, entre eux et le public, fidèle. On les aime aussi pour ça. Les autres comédiens servent ici de faire-valoir malheureusement et ne parviennent pas vraiment à exister.
Quelques moments de plaisir ne font pas une grande pièce de théâtre. Je me suis à rire à quelques conneries : "Un beau jour, ou peut-être une nuit, près d'un lac je m'étais endormi, quand soudain semblant crever le ciel et venant de nulle part, surgit... un pigeon noir!" C'est d'un bête, mais ça me fait rire. Mais je comprends itou que cela passe par-dessus la tête de bon nombre de gens, que beaucoup soient affligés par pareil spectacle, à première vue commun, voire complètement débile. J'aime Chevallier et Laspalès mais je vois bien aussi pourquoi beaucoup les détestent.
Reste du trombi:
Ingrid Mareski:
Thierry Heckendorn:
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