Quand le reptile se fait des pellicules, des toiles, des pages et des dessins... Blog sur l'image et la représentation en général. (cliquez sur les captures pour obtenir leur taille originale)
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vendredi 28 mars 2014
Les statues meurent aussi
1953
Cinéastes: Chris Marker - Alain Resnais
Notice SC
Notice Imdb
Vu en dvd
"Les statues meurent aussi" est un court métrage d'une demi-heure réalisé par Alain Resnais et Chris Marker. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Je n'avais aucun a priori positifs, je craignais en effet plutôt un regard peut-être vieillot. Le film date de 1953, la décolonisation est loin d'être terminée, l'exposition coloniale a eu lieu à Paris il y a à peine un peu plus d'une vingtaine d'années. Mais je ne sais pourquoi je craignais un truc vaguement imprégné d'un racisme, même lointain.
D'abord, le film est un peu flou sur ce point, du moins pour moi. On parlait encore d'art nègre, on parlait du "noir", du "blanc", etc. La première partie s'essaie à trouver la signification des arts premiers africains, des points de vue européens et africains. Cette première partie est encore... tranquille, sagement docile. Elle couve le feu de la seconde partie, véritable brûlot politique. On est encore dans l'observation et dans la recherche de sens artistique, historique et culturelle, dans la confrontation des savoirs et des cultures, du sens qu'on met derrière tout cela que l'on soit européen ou africain, la recherche des différences et des convergences, dans l'esthétique, dans les ressentis.
La plupart des images proposées interrogent les statues, les petits objets du quotidien, les masques, etc. Ces réflexions sont ouvertes, se terminent en point d'interrogation, parce que ces arts premiers ont été en large partie ensevelis dans l'oubli.
Et ce qui nous amène à la seconde partie, celle qui cherche et trouve les principaux responsables. Les fossoyeurs sont blancs, européens ou arabes, chrétiens ou musulmans. Les cultures ancestrales ont été peu à peu oblitérées de la mémoire africaine par les différentes colonisations, mais également par la modernisation, ce qu'on n’appelait pas encore "mondialisation", l'acculturation des sociétés sous le règne du marchand, etc. Il s'agit bien là d'un pamphlet anticolonialiste, des plus virulents.
Le propos est cinglant et pointe les coupables. Le film appelle bien un tigre... un tigre. Il propose alors des images de manifestations racistes en tout genre. Il pointe notamment du doigt le racisme ordinaire, mais montre aussi comment le sport moderne par exemple a pu spectaculariser, utiliser la force athlétique africaine à des fins plus ou moins politiques, en tout cas nettement hypocrites. Curieusement, en effet, le film laisse déborder son anticolonialisme vers un anti-libéralisme (surtout américain) largement répandu il est vrai dans l'intelligentsia française de cette époque. Peut-être est-ce aussi une manière de se dédouaner d'une part de la responsabilité proprement française?
Quoiqu'il en soit, l'attaque est violente. Elle me surprend, moi qui m'attendais à l'exacte contraire. En tout cas, elle offre une belle matière à réflexion. Aujourd'hui encore, ce débat n 'est certainement pas clos. Il s'est même développé à d'autres cultures malmenées par d'autres impérialismes.
D'autre part, depuis 1953, on a pu s'apercevoir que se centrer uniquement sur les responsabilités extra africaines était un leurre. Pour ma part, j'ai le sentiment de ne pas être tout à fait en mesure de répondre de façon catégorique. Et que justement, il convient bien mieux de dépassionner le débat à défaut de pouvoir réellement le dépolitiser.
De fait, le discours que tient ce film, s'il est bienfaiteur comme un coup de pied dans la fourmilière du racisme de 1953, m'apparaît aujourd'hui un peu dépassé. Il reste profondément ancré dans son époque. Il est un discours politique anticolonialiste à part entière, bien structuré et nécessaire pour appuyer les mouvements d'indépendance de l'époque.
Soit par naïveté, soit par méconnaissance j'aime à croire que le néocolonialisme d'abord européen, aujourd'hui peut-être plus asiatique qu'américain d'ailleurs, n'opère pas sur les arts premiers africains la même opération destructrice, et que depuis ces années lointaines le respect de l'objet et les cultures anciennes a pu se développer et accompagner les politiques de renaissance ou de sauvegarde, tant sur le plan de la muséographie que de l'archéologie par exemple. Vœu pieu?
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