Quand le reptile se fait des pellicules, des toiles, des pages et des dessins... Blog sur l'image et la représentation en général. (cliquez sur les captures pour obtenir leur taille originale)
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dimanche 26 décembre 2010
Potiche
2010
Cinéaste: François Ozon
Comédiens: Catherine Deneuve - Fabrice Luchini - Gérard Depardieu - Karin Viard
Notice Imdb
Vu en salle
Ah, cela faisait déjà beaucoup trop de temps que je n'étais pas sorti d'une salle de cinéma la mine réjouie, ravi, satisfait d'être aller voir un film! Cette "Potiche" est presque une surprise dans le sens où le cinéma d'Ozon ne fait pas encore partie de mes fétiches. Je n'avais vu il est vrai jusqu'à présent que trois de ses films. J'avais beaucoup aimé "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes", un peu le grave "Sous le sable" et pas du tout le fantasque "8 femmes". J'espérais retrouver la folie de "Gouttes d'eau..." sans l'ennui provoqué par "8 femmes".
J'étais donc partagé mais la distribution de "Potiche" était trop alléchante pour me dissuader de courir le risque. J'avais envie de Catherine Deneuve, Fabrice Luchini et dans une moindre mesure Gérard Depardieu. Souvent ce genre de pari s'avère désastreux. Le casting ne fait pas l'essence d'un film.
De plus le film est adapté d'une pièce de théâtre de boulevard éponyme que j'ai vu quand j'étais môme, "au théâtre ce soir" à la télévision, du temps des trois chaînes, avec Jacqueline Maillan, si je ne m'empapaoute. De ces programmes du samedi soir en période de vacances scolaires j'ai des souvenirs un peu confus, mais empreints d'une nostalgie souriante. Le problème réside dans le regard un brin condescendant et snob (légitime ou non : il me faudrait mettre la main sur des dvds consacrés à cette émission) porté sur des œuvres populaires un peu simplistes qui investissaient énormément sur les "vedettes" de l'époque, lesquelles n'hésitaient pas à dépasser les limites du cabotinage en surjouant de leur image et donc à vampiriser quelque peu la pièce. Aussi avais-je quelques craintes.
Celles-ci disparurent progressivement au cour du visionnage. La mise en scène d'Ozon a insisté sur ce jeu théâtral, assez peu naturel, encore moins économe d'effets de manche et de voix, où les poses, les gestes grandiloquents ainsi que le ton volontiers excessifs sont destinés à être vus et entendus par les spectateurs du fin fond de la salle. C'est encore plus évident avec les jeunes acteurs (Jérémie Rénier, Karin Viard et Judith Godrèche). Fabrice Luchini, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu sont un peu plus naturels, même s'il n'échappera à personne qu'ils se permettent également quelques envolées haut-perchées. Dans "8 femmes" déjà, François Ozon avait opté pour une direction d'acteurs aussi singulière. Cela m'avait considérablement tapé sur le système. Ici bien au contraire, j'ai été très vite conquis par ce même dispositif. Allez savoir pourquoi... mais l'option "théâtrale" m'a paru plus enjouée, plus colorée et surtout parfaitement en adéquation avec le scénario bourré de ces clichés que ce genre de comédie boulevardière charriait.
Justement, cette propension à manipuler les stéréotypes sociaux et culturels d'une France qui entre doucement dans la modernité en se vêtant de ses oripeaux économiques et sociaux, dommages collatéraux des crises des années 70, pour mieux les faire exploser m'a énormément plu.
A ce propos, j'ai tout de suite songé à "All that heaven allows" au tout début du film quand Deneuve s'assoit sur un sofa près d'une grande baie vitrée : position et décors identiques à ceux du film de Douglas Sirk. Les similitudes n'étant à ce moment-là bâties sur rien d'autres que des éléments formels, je ne m'y arrêtai qu'un bref instant. Et ce n'est que dans la dernière partie du film que la filiation avec le cinéma de Douglas Sirk m'est apparue plus qu'évidente. Effectivement, cette "potiche" est le véhicule parfait de ces obsessions sirkiennes. D'abord considérée comme une femme objet par toute sa famille, elles est prisonnière d'une position sociale de mère de famille, heureuse dans son contentement matériel de femme au foyer, impassible devant les aventures volages de son époux, victime consentante de l'aliénation que son entourage s'échine à lui imposer.
Les évènements divers qui l'amènent à bouleverser cette donne de départ n'ont que peu d'importance mais cette révolution ne se fait pas en douceur. Et au sein même de ces changements, le scénario ménage des dérivations insoupçonnées et fort intéressantes. La première partie était assise sur des clichés, se déplaçant sur un chemin bien balisé, et soudain François Ozon fait feu de tout bois, ses personnages devant prendre des virages en aiguille. Dans ce genre de récit, l'histoire se contente bien souvent d'oppositions parfaites à 180°. Or, le cinéaste nous livre un scénario qui dynamite jusqu'à ces oppositions, sorte de récurrences ou de stéréotypes renversés. Comme Douglas Sirk auparavant, Ozon ne remplace pas les idées reçues par d'autres conventions mais rend son histoire tangible, très réelle. La comédie soudain bascule dans le drame, dans l'intime, la souffrance ou le dilemme. Les personnages jusque là d'un bloc se fissurent et font apparaitre des pistes de lecture divergentes. La pièce de théâtre s'éloigne. La vérité de personnages plus denses éclate. La farce s'efface. Le réel se révèle. Quant au ridicule, je ne vous dis pas.
Dans le mouvement, des idées politiques s'expriment : quelques coups de griffes gentillets, anti-sarkozistes ou contre l'ultra libéralisme en général font sourire. La caricature du patron haineux hyper conservateur et hypocrite, vénal, avide de pouvoir que dessine le personnage de Fabrice Luchini ne prête qu'à sourire. Ce n'est pas bien féroce, une caricature ultra-véhémente, un peu factice. Mais il est vrai qu'ils le sont tous à un moment ou un autre un peu tocs et justement, le retour à la case réalité n'en est que plus percutant sur la fin. Le coup porte.
Dans "8 femmes", une certaine culture populaire que d'aucuns pourrait hâtivement associer à la culture gay française m'avait très vite éreinté. Ici, François Ozon remet le couvert et bizarrement, j'apprécie bien davantage. Comme si le décor, le propos, le contexte historique ou l'histoire étaient en parfaite adéquation. L'habillage musical s'inspire tout à tour de cette chanson française qui ne m'attire pas du tout (Sylvie Vartan, Johnny Halliday ou Michèle Torr), la chanson populaire des années 70, des textes simplistes, des musiques pas trop compliquées non plus pour bien accrocher l'oreille du grand nombre, que ma grand-mère écoutait à la radio en faisant la cuisine, après le "jeu des mille francs" en portant un tablier bleu à poids blancs. Et puis, il y a aussi cette flûte traversière (à moins que ce soit une clarinette, je suis un mélomane de merde, oui) qui rappelle les petites envolées guillerettes que Vladimir Cosma avait imposées en jolies virgules dans "Un éléphant ça trompe énormément" et "Nous irons tous au paradis" d'Yves Robert, sommets de la comédie française des années 70.
Bref, à l'image de ces décors, ces costumes et ces coiffures d'un autre temps, la musique est marquée par l'époque reconstituée, celle des grands bouleversements que les chocs pétroliers ont préparé sur le lit de 68 : la libération de la femme, l'arrivée de la gauche au pouvoir, l'explosion de la famille traditionnelle agrémentée dorénavant d'une "nucléaire" et d'une "recomposée". Ce joli film évoque tous ces grands thèmes avec beaucoup de légèreté tout en maintenant une lecture coulante, heureusement équilibrée, toute en délicatesse, tendre et fluide : un petit bonheur.
Concernant les acteurs, j'avais une grande envie de revoir Catherine Deneuve. Et malgré le travail de sape toujours aussi déplorable de l'artifice chirurgical et esthétique, on parvient encore à retrouver ce regard ouvert, vif et plein d'élégance. Sans être un fanatique absolu de l'actrice, son parcours force le respect. On ne compte plus ses grands rôles qui ont marqué l'histoire du cinéma.
En engageant Catherine Deneuve et Gérard Depardieu, François Ozon savait pertinemment qu'il invoquait les fantômes que de grandes affiches ont porté bien haut. Tout un pan du cinéma vous saute au cœur et au souvenir quand ces deux-là dansent et s'embrassent. Film jouant autant sur la nostalgie du spectateur, "Potiche" recèle quelques moments comme celui-là où ce qui se passe à l'écran est tout aussi important que ce que cela évoque, des images du "Dernier métro", du "Choix des armes", de "Fort Saganne", de "Je vous aime" ou de "Drôle d'endroit pour une rencontre".
Je suis un peu déçu par le manque d'implication de Gérard Depardieu. Du moins est-ce une impression, qu'il est moins dedans que ses camarades. Peut-être suis-je submergé par un sentiment général que j'ai vis à vis de l'acteur depuis quelques années? Sans doute suis-je contaminé par les déclarations à l'emporte-pièce qu'il vomit de temps en temps entre deux bitures? Oui... sans doute que je suis de mauvaise foi et que je laisse beaucoup trop des considérations annexes me bouffer la cervelle.
Karin Viard est formidable. Voilà une actrice qui me plait de plus en plus. J'ai le sentiment d'apprendre à la connaitre, petit à petit. Je la trouve très fine dans son jeu surtout avec un rôle en apparence limité mais super compliqué à construire d'une secrétaire un peu nunuche et qui se découvre peu à peu dans l'émancipation de sa patronne.
Je suis toujours un fanatique (au premier rang) de la liberté de ton que s'octroie Fabrice Luchini dans son jeu. Comédien plus riche qu'il n'en donne l'air, à force de citations d'auteurs, beaucoup croient voir en lui un simple perroquet. Grossière et crétine erreur. Il emmagasine pour mieux enrichir ses personnages, mieux grandir, et accessoirement intensifier ses interprétations. Le bagage qu'il trimballe maintenant est une grosse malle pleine de trucs, qui lui permettent de jouer à plaisir, pratiquement n'importe quel rôle. De l'excentrique au quiet, Luchini s'y moule à la perfection. Ici il est encore sur un fil, maitre équilibriste. Son jeu est à la fois classieux, grossier et intelligent. Faut le faire, hein?
Je suis un peu plus circonspect vis à vis de Judith Godrèche et de Jérémie Rénier.
Ce dernier, je le connais très peu et ai du mal encore à l'évaluer. Judith Godrèche me laisse souvent perplexe. C'est encore le cas ici. Je ne sais pas pourquoi. Elle ne me laisse que peu d'impressions. Beaucoup l'utilisent : elle doit avoir quelque chose que je ne saisis pas.
Foutre, quelle tartine je commets là! Cela faisait belle lurette que ma verve n'avait trouvé pareille occasion à s'exercer autant! C'est bon signe.
Photos de tournage: (avec François Ozon)
Gouttes d'Eau est de loin l'Ozon que je préfère, moi qui ne suis pas le moins du monde Ozonphile.
RépondreSupprimerJe n'aime guère Deneuve, me suis lassé depuis longtemps du registre Luchinien, n'ai aucun goût pour Godrèche... et pourtant ma curiosité à l'endroit de Potiche fut piquée, et joliment récompensée !
Le film ne s'en tient pas au kitsch, au contre-emploi des acteurs, au trait forcé de la caricature ni au punchlines: non, le récit l'emporte et on oublie tout ce qu'on serait à même de fustiger si cela conservait le premier plan de l'entreprise ! C'est sans doute ça l'intelligence en comédie...